Paris-Shanghaï à vélo
MESSAGE N° 5 : le 03/05/2005
Jeunes et moins jeunes gens. Il est enfin arrivé le nouveau mail-Co du gars Yoyo... Vous vous demandez sûrement ce qu'on a bien pu faire le gars Richard et moi depuis environ deux semaines, époque où nous quittâmes de bon et ensoleillé matin la sympathique et frontalière bourgade d'Oradea...
D'abord, que je vous narre ce que nous avons fait à Oradea. Globalement, nous nous sommes reposés, sommes un peu sortis, avons rencontré la famille et les amis de Mikhaïl, notre gentillissime[i] hôte, et avons finalement peu visité la ville. Nous avons aussi fait un peu de karting et nous sommes baignés par un bel après-midi dans les chauds bains thermaux de la station balnéaire voisine : Baile Felix. Puis, après les chaleureux « au-revoir » et remerciements à Mikhaïl, nous nous sommes mis en route.
La journée commence plutôt bien. Nous nous arrêtons près d'un marché pour que Richard change de l'argent et nous en profitons pour faire des courses. C'est mon tour. Bien que je ne sois pas long, lorsque je reviens aux vélos où m'attend Richard, je le vois passablement énervé, en train de discuter avec trois gars dont deux balaises (dont un carrément énorme...). Il me dit que l'on vient de lui voler son Pocket PC. Il m'explique alors, en présence des trois gars aux mines pas tibulaires[ii] mais presque... (Bon d'accord, c'est du Coluche, mais c'est du Coluche qui a plus de 20 ans... Alors, je peux réutiliser, non ?!?). Il m’explique qu'ils se sont approchés de lui pour discuter et que, pendant ce temps là, quelqu'un d'autre avait, dans son dos, à un mètre de lui, fouillé dans la sacoche de guidon fixée à son vélo et pris la chose la plus proche de l’ouverture : le Pocket PC... Il me dit ensuite que les gars en question, pas culottés, lui proposent de l'aider ! En effet, ils prétendent n’avoir rien vu mais, comme ils connaissent pas mal de monde dans le coin, ils affirment pouvoir probablement récupérer l'objet... Mais voilà : il faudra payer..! 200 Euro est la première somme qu'ils mentionnent. Il va sans dire que Richard refuse mais entreprend tout de même de négocier. Moi, je lui propose, devant les autres et en articulant bien afin qu'ils comprennent, d'aller voir la police. Richard ne préfère pas car ils vont disparaître entre temps et l'on ne reverra jamais l'ordinateur... Ma foi, c'est son Pocket PC et c'est lui qui marchande, alors... Quoiqu'il en soit, ils se mettent d'accord sur un prix : 50 Euro. Entre nous, 50 Euro pour récupérer un objet qui vous appartient et qui se trouve dans la poche de votre interlocuteur (entre temps ils se sont absentés pour aller le récupérer auprès de leur complice) c'est un peu dur, non ? Moi, je crains surtout que Richard ne se fasse doublement enfler et qu'ils lui piquent ses 50 Euro en plus... Heureusement, ils la jouent réglo sur la transaction et lui rendent son Pocket PC. Voilà comment une journée qui commençait bien se prend une bonne claque dans la tronche.
Bref, après ces mésaventures, nous repartons en direction de la capitale roumaine que nous comptons atteindre dans une huitaine de jours. Le vent est un peu contre nous et notre progression est assez lente. En plus, nous sommes partis assez tard... résultat, nous ne faisons pas beaucoup de kilomètres ce jour-là, à peine une soixantaine.
Nous passons la ville de Beius et nous faisons surprendre par un début d'orage qui nous contraint à accélérer la recherche d’un hébergement pour ce soir. Nous nous arrêtons donc 7 kilomètres plus loin et demandons au proprio d'une maison du village s'il aurait une petite place dans son jardin pour notre tente. A notre bonne surprise, il nous indique la maison abandonnée et vide en face de chez lui en nous disant qu'il n'y a aucun problème pour que nous y dormions. La famille que nous avons sollicité nous invite à manger chez elle et nous goûtons donc une excellente soupe de poireaux avant d'enchaîner sur de la charcuterie maison. Le bonhomme est militaire mais sympa, et la femme travaille dans la fabrique de boisson du coin dont le nom est Frutti Fresh. Cette vénérable et pollueuse entreprise est mondialement connue en Roumanie et dans les environs proches... Ensuite, alors que Richard va se coucher dans notre petit F1, je regarde le match retour de Liverpool face à la Juve avec nos hôtes et ce n'est pas sans une certaine joie que je rentre me coucher après que le LFC se soit qualifié pour les demi-finales de la Ligue des Champions... Je me prends à penser que s’ils vont jusqu'à la finale, vu que je serai dans le coin à ce moment-là, je me débrouillerai pour aller les voir en direct live... A Istanbul.
[i] gentillissime : Superlatif de gentil. [ii] tibulaire : Vous m’excuserez d’emprunter des idées à Coluche…
Oradea - Burgas ... ça ira, ça ira...
Le jour suivant, les choses sérieuses recommencent puisque nous quittons la route principale, trop encombrée par le trafic routier, pour prendre un chemin plus court de 8 kilomètres (selon la carte que nous a donné Ulrich à Munich, et qui date probablement de 1987... ou 1789, on ne sait pas très bien), à peine un peu plus montagneux. Côté trafic, c'est réussi ! Pas un chat sur la route... Par contre, côté montagne... C'est réussi aussi. Ça grimpe, ça grimpe et ça grimpe... Ça n'en finit pas de grimper. Heureusement, pas autant que dans la Forêt Noire, mais sur une plus longue distance. Nous passons un col encore plus haut : 1160 mètres. Le paysage est très joli mais nous n'en profitons pas tant que ça puisque nous nous prenons une bonne saucée aux alentours de midi et du sommet. Après un pique-nique revigorant (on est un peu humide, surtout les pieds de Richard qui n'a pas vraiment pu s'abriter quand la pluie fut venue), nous repartons pour une descente d'une quarantaine de kilomètres dont 10 vraiment raides. Le début de la descente est très dur car il pleut et le vent qui remonte de la vallée vers le col nous glace les mains et les oreilles. Ce n'est qu'au fur et à mesure de la descente que nous parvenons à nous réchauffer.
A la sortie d'un village, je m'arrête pour un petit cliché de maisons au bord d'un ruisseau et un gars m'appelle pour que j'aille le prendre en photo. J'hésite un peu et finis par m'approcher timidement pour m’apercevoir qu'il s'agit en fait d'un atelier de forgerons où travaille toute une famille. Ils me sourient et, malgré la barrière de la langue, le contact est chaleureux. Je prends deux ou trois photos sympas avant de les quitter en leur promettant de leur envoyer les impressions... D'ici 2 ans...
Nous arrivons enfin à notre objectif du jour : Campeni. Nous y cherchons rapidement un logement que nous trouvons. En effet, en demandant où se trouve la caserne des pompiers (nous n'avons pas renoncé, même si depuis la France nous n'avons plus été hébergés chez eux), nous sympathisons avec un gars qui nous propose de dormir dans le salon de coiffure que tient sa femme. Enchantés, nous acceptons. En plus, l'endroit est chauffé et nous en profitons pour faire sécher nos affaires sur le poêle. Un peu plus tard, je sors dans un bar et rencontre un Roumain de 45 ans qui a assez bourlingué pour parler un anglais très correct. Je lui pose des questions sur son pays et apprends pas mal de choses.
Le lendemain matin, nous repartons pour notre deuxième étape de montagne. Heureusement, ça grimpe beaucoup moins. Les sous-bois qui nous entourent sont magnifiques et les teintes du parterre de feuilles mortes (on se croirait en automne) y sont pour beaucoup. La descente comprend des restes de la montée d'hier et nous atteignons de jolies vitesses avec des trajectoires sympas sur des routes un peu défoncées et un peu humides vu qu'il bruine un peu... Mais bon, on fait attention et tout se passe bien. Le soir, après avoir passé Beçes nous demandons l'hospitalité pour nous, nos tentes, nos vélos et nos sacoches éponges, au propriétaire d'une usine de produits en cuir. Constantin, le sympathique responsable de l'endroit, nous accueille à bras ouverts ! Il ne s’agit pas seulement d’une usine, mais aussi d’un centre équestre doublé d'un Rotary Club. Nous sommes donc hébergés dans un luxe relatif avec accès à des douches bien chaudes et à deux bons lits. Le repas nous est offert ainsi qu'une très agréable soirée à discuter avec Constantin et sa femme sur la Roumanie et notre voyage. En même temps, il valait mieux car on était un peu humide et l'on venait de parcourir nos 103 kilomètres...
Le jour suivant, nous repartons après les remerciements et photos de rigueur. Nous profitons de l'occasion qui nous est donnée par le réseau routier roumain pour quitter à nouveau l'axe principal et ses 35 tonnes et couper "à travers champs". Malheureusement, les guillemets ne sont pas nécessaires dans ce cas précis ! En effet, je n'ai pas lu la légende de la carte et les routes secondaires que nous comptions prendre sont en fait des chemins de terre. Bon, pas trop grave en soit, sauf qu'il a plu et que ce sont des chemins de boue et de flaques. Nous décidons, malgré la difficulté à progresser à plus de 12 Km/h, de continuer jusqu'au prochain village et de récupérer la nationale ensuite. Après tout ce n'est qu'à 5 kilomètres. C’est une bonne idée car le soleil pointe le bout de ses rayons et le paysage est charmant. Nous atterrissons à Amnas par le côté gitan. Évidemment, il se crée un attroupement autour de nous et nous sympathisons avec ces gens pourtant diabolisés dans tout le pays et à l'étranger. Nous prenons des photos avec eux et, au moment de repartir, l'on s'aperçoit que j'ai crevé. Cela retarde encore un peu plus notre séparation, d’autant qu’ils insistent et se bousculent même entre eux pour m’aider à réparer.
Puis, nous traversons le village à proprement parler et nous apercevons qu'il est très joli. Ceci dit, ça se mérite, en tout cas pour nous... Je m'explique : pour venir, chemin de boue et de flaques ; et pour sortir : ENOOOOORME côte en chemin de terre (heureusement plus sec). Pour ma part, je triche un peu car avant même la moitié de la côte je me fais tracter par un tracteur qui va certes moins vite que moi mais qui me soulage d'une crevante montée... En haut nous attend une sorte de plateau avec des pâturages humides où broutent des moutons. Nous pique-niquons là, sous le soleil retrouvé, et repartons vers Sibiu. Nous passons Sibiu et nous engageons vers la deuxième partie des montagnes que nous devons traverser. Heureusement, à partir de là nous suivrons la rivière Olt afin de ne plus avoir de montées comme avant.
Pour l'instant, nous nous arrêtons à Boita, village se situant au début de cette vallée. Nous y trouvons un hébergement correct puisqu'il s'agit d'une maison appartenant au frère d'un vieux monsieur qui est parti aux Etats-Unis et qui y est mort. Sa femme a demandé qu’on vende la maison, mais bon, vous voyez, une maison un peu délabrée à Boita, en Roumanie, ça part pas comme un 3 pièce dans le 6ème... Résultat, nous pouvons y dormir et c'est tant mieux.
Jour suivant. Le vent est contre nous et va nous empêcher de progresser autant que nous le souhaiterions aujourd'hui. La vallée de l’Olt qui établit une brèche entre deux chaînes de montagnes est d'un aspect plutôt sympa mais le temps est mitigé. Le trafic nous gêne aussi pas mal. Il s'agit en effet de l'axe le plus emprunté par les routiers, surtout ceux allant et venant de Turquie. Nous décidons de prendre une route secondaire sensée être goudronnée afin de rejoindre Curtea de Arges puis, demain, Pitesti. Il se trouve que la pluie nous surprend à la fin d'une exténuante montée (sur piste de terre !) pas vraiment indiquée sur la carte. Nous en profitons pour faire un peu pitié et nous faire héberger par Nicolae et sa femme, qui tiennent l’épicerie-bistrot à cet endroit stratégique qu’est le col.
Chez eux, c'est tout joli, décoré à la roumaine et avec plein de produits de la ferme et de la montagne. Je goûte du lait-fromage blanc pendant que Nicolae enchaîne Richard à l'eau de vie... Nous sommes, selon la coutume de l'hospitalité roumaine, invités à manger et nous savourons bien sûr tout ce que l'on nous sert.
Nous repartons le lendemain matin en les remerciant. La pluie nous bloque un peu et, à midi, nous n'avons parcouru qu'une vingtaine de bornes.
Dans le bled où nous faisons les courses du midi, nous rencontrons une femme d'une cinquantaine d'années qui parle français car elle a enseigné à Casablanca dans sa jeunesse. Elle nous invite à manger et nous prépare un bon repas. La pluie nous retient chez elle. Elle nous raconte alors un peu sa vie, celle de sa famille, les méfaits des communistes, les méfaits des voyous qui ont confisqué la révolution de 89 et finit par nous vanter les mérites de GW Bush non sans avoir fait un détour par le déterminisme et son cortège de vérités à la con telles que : "C'est Dieu qui décide qu'il y aura des gens pauvres et des gens riches" etc. Bref nous ne repartons que vers les 16H00, une fois la pluie passée, et ce n'est pas trop tôt. C'est tout de même drôlement embêtant quand quelqu'un avec qui vous avez des points de vue si divergents vous traite si gentiment en vous offrant à boire, à manger et même un poncho en sac poubelle pour la pluie...
Bref ! Nous filons vent dans le dos vers Pitesti que nous dépassons en début de soirée pour nous arrêter 10 bornes plus loin. Les gens de la maison où nous sonnons nous proposent, au lieu de leur jardin humide et un peu boueux, de dormir de l’autre côté de la route, dans les locaux du parti libéral dont ils ont la clé. On peut dire que ça tombe plutôt bien. Il y a là de la place pour étendre nos affaires, nettoyer un peu les vélos et un poêle pour nous réchauffer. En plus, ils nous proposent leur douche, ce qui est tout simplement royal.
Le lendemain matin, avant de partir, je récupère une étagère en fer (genre présentoir à chips) pour l’adapter à mon porte-bagages avant qui souffre de plus en plus du poids des sacoches. Après les remerciements, nous nous mettons en route pour une grosse étape : 110 kilomètres au programme. Heureusement, le vent, le soleil et le relief sont avec nous. Nous dévorons les kilomètres et c’est à la fulguropoignante[i] vitesse moyenne de 25 Km/h que nous arrivons à Bucarest après un peu plus de 4 heures de vélo et seulement 104 Kms au compteur. Nous trouvons rapidement l’auberge repérée sur Internet et nous y installons pour 8 Euro par nuit.
Avant de continuer sur Bucarest et ce que j’y ai fait, il est temps de vous annoncer LA NOUVELLE qui, la dernière fois que je l’ai annoncée par mail à certaines personnes, a déjà déclenché des tempêtes… En effet, pour des raisons diverses et variées, j’ai décidé (depuis Budapest) de me retirer du projet « Les Roues du Recyclage » et de continuer le voyage tout seul.
QUOI ! ? ! Entends-je certains de vous vous écrier !
C’est comme ça ! Les choses ne fonctionnent pas toujours comme prévu et vu que c’est le cas pour la partie « Keila et moi » de ce voyage, et vu que je tiens à profiter pleinement de ce que je vais être amené à vivre durant les mois à venir, je me retire du projet et continue tout seul. Comme vous pouvez l’imaginer, lorsque j’ai annoncé cela au bureau de l’association Keila (qui soutient le projet et dont je suis membre fondateur aux côtés de Richard, Maud et Dimitri), ça a fait quelques vagues. Je dois même dire que certains me sont tombés dessus tel un chef gaulois : à bras raccourcis, en parlant de « grande déception », de « tournant historique dans notre relation » ou bien encore de « trahison ». Un peu comme si mon retrait du projet représentait la fin de l’aventure. Bref, ça a été mal pris. Une petite guéguerre à deux francs (pardon, 30 centimes d’Euro) s’est même engagée, ce qui m’a également beaucoup déçu. Comme je ne tiens pas à vous embarrasser l'esprit plus longtemps avec ça (surtout que les choses se sont un peu calmées depuis), je ne développerai pas sur les raisons de mon retrait ni sur les misères que nous nous sommes faites à distance, l’association et moi… Une chose est sûre, de mon côté du moins : j’ai bien pesé le pour et le contre de cette décision et à l’heure actuelle, un mois après l’avoir prise (et deux semaines après qu’elle fut entrée en vigueur), je suis archi-convaincu que c’était la bonne.
Bref, ce que j’avais proposé à Richard était de l’accompagner encore depuis Budapest jusqu’à Bucarest car ensuite il devait prendre un bus pour retrouver Maud qui venait le rejoindre par avion à Istanbul. Ainsi, notre séparation serait moins problématique pour lui puisqu’il pourrait demander à Maud de lui apporter les choses qu’il n’avait pas prises du fait de notre voyage en binôme. Ceci dit, une fois à Bucarest, nous avons fait ville à part, même si nous dormions dans la même chambre à l’auberge. Et le 22, il a pris son bus pour Istanbul. Nous nous sommes quittés en des termes amicaux malgré les tensions des jours précédents, ce qui est tout de même positif. Ça montre en tout cas que, l’un comme l’autre, nous sommes à peu près adultes… Ce ne fut pas le cas de tout le monde dans cet épisode.
Bon, bref, maintenant je suis seul… C’est un autre voyage qui commence pour moi.
J’ai donc passé une excellente semaine à Bucarest à visiter un peu, notamment le palais du gouvernement qu’avait fait construire l’autre fou, le Danube de la pensée : Nicolae Ceausescu. Laissez-moi ouvrir une parenthèse sur ce palais qui est, (vous en doutiez-vous ?) le deuxième plus grand bâtiment du monde, en surface j’entends… Je ne sais pas si ça vous parle autant qu’à moi, mais bon… Quand même, construit en 6 ans, alors que la Roumanie traversait une crise économique effroyable (le remboursement de sa dette au FMI au début des années 80 l’avait définitivement engagée sur cette pente plus que savonneuse…). Il mesure 86 mètres de haut. En volume c’est le 3ème plus grand édifice du monde après le bâtiment de la NASA et une pyramide au Mexique. Il est même 2% plus volumineux que la pyramide de Kheops en Egypte… Un truc de malade quoi. On nous a montré une pièce où le tapis pèse 3 ou 4 tonnes, je ne sais plus trop, et où il faut environ 25 personnes pour le manipuler. Bref c’est énorme, impressionnant, et à peu près représentatif de la folie quand elle atteint des sommets.
Je me suis aussi acheté une guitare parce que j’ai réalisé que je pourrais assez facilement la trimbaler sur le vélo. Elle n’est pas terrible mais elle est encore moins chère, alors…
Sinon, j’ai rencontré des gens sympas. Des français, polonais, finlandais, américains, hollandais (dont l’un était le sosie de Chandler dans Friends…), mexicains, anglais, irlandais, canadiens et, bien sûr, des roumains. C’est d’ailleurs avec ces derniers que j’ai passé le plus de temps. En plus, il a fait beau ! Et Bucarest est une ville fort agréable. Il faut aussi que je vous dise qu’ils y font les meilleurs chaussons aux pommes du monde !
[i] fulguropoignante : Adjectif qualificatif se rapportant au Fulguro Poing de Goldorak.
Mais bon, même les meilleures choses ont une fin et il me faut repartir. C’est donc ce mardi 26 avril que je reprends la route sur mon vélo doté d’un nouveau système de porte-bagages à l’avant et d’une guitare à l’arrière ! Évidemment, alors que je n’ai pas vraiment le cœur à partir, il faut qu’il pleuve… La plaine qui s’étend jusqu’à la Mer Noire où je me rends est à coup sûr encore plus morne que Waterloo. Imaginez le désastre… Moi, tout seul, sous la pluie, vent de face, la tête encore à Bucarest, avec la guitare qui mouille et, pour couronner le tout, des ennuis mécaniques au niveau de mon boîtier de pédales… Bref…
Heureusement, le soleil pointe le bout de son nez en fin d’après-midi et je termine après 90 kilomètres dans le village de Dor Marunt. J’ai la chance de me faire héberger par un garagiste qui me prête la chambre qu’il occupe d’habitude dans la maison qu’il vient de racheter et qu’il est en train de retaper. Bon, d’accord, il n’y a ni électricité ni eau courante, mais c’est mieux que sous ma tente dans la boue…
Le lendemain matin, il fait assez beau et, malgré mes ennuis de pédalier, je mange les kilomètres. Malheureusement, ce qui devait arriver arrive : le pédalier lâche ! Et je me retrouve à faire du stop avec ma randonneuse en panne. Une camionnette avec remorque m’embarque et m’amène à Feteşti où je vais à nouveau avoir l’occasion de réaliser que la solidarité ça veut encore dire quelque chose en ce bas monde… En effet, je me rends dans un magasin de vélos pour y acheter un nouveau boîtier de pédales. Le marchand entreprend de le monter pour moi (alors que je sais le faire et que j’insiste pour le faire moi-même, mais il ne veut rien savoir le bougre). Au final, il me fait cadeau de la main d’œuvre et m’offre même la pièce qui coûte quand même la rondelette somme de 400 000 Lei… Un peu plus de 10 Euro. De mon côté, j’insiste pour payer, c’est la moindre des choses, mais lui n’accepte qu’une seule rétribution : que je lui offre une bière ainsi qu’à son jeune employé qui nous a aidé durant l’opération… Je m’en tire avec un boîtier neuf installé sur mon vélo pour deux canettes de bière… Grosse gentillesse du marchand qui m’a tout de même pris pour un fou de vouloir aller en Chine à vélo. Il n’a même pas accepté d’argent pour les quelques rayons que je lui ai pris.
Bref, après de chaleureux remerciements, me voilà reparti. Je me tape une petite portion d’autoroute en travaux avant d’arriver à Cernavodă. Clic-clac, petite séance photo du pont de chemin de fer, un magnifique viaduc datant de 1895. Je me fais quand même virer par un policier en talkie walkie qui se prend une engueulade radio parce que je ne devrais pas être à cet endroit là… Ensuite, en sortant de la ville, en direction de la côte, je passe sur un pont qui enjambe une écluse du canal du Danube (grand chantier où ont travaillé nombre d’opposants au régime sous Ceausescu). Et là, gros choc ! En effet, alors que je m’arrête sur le pont et commence à sortir mon appareil photo, un garde de l’écluse, en contrebas, me gueule quelque chose que je comprends (avec ses gestes, ou plutôt gesticulations) comme : « dégage de là, t’as rien à faire là ! ». Moi, du haut de mes 30 mètres je lui fais un « ouais, ouais, deux secondes ! ». Je me retourne pour prendre une photo de l’autre côté du pont puis une de l’écluse elle même. Et là, pendant que je vise avec mon appareil, j’entends un déclic assez familier pour ceux qui ont vu quelques films d’action américains ou qui suivent les émissions nocturnes de TF1 sur la chasse. Je me rends compte qu’il me vise avec SON appareil. Mais voilà, son appareil c’est un fusil mitrailleur. En un éclair, je me dis qu’il est fou. Je range mon appareil photo dans mon sac et me barre à la vitesse du gars qui flippe mais bon, qui n’est qu’à vélo… Hors de portée de son arme, je suis tout de même choqué par cette mésaventure même si je me dis, objectivement, qu’il n’aurait jamais tiré. Mais quand même, se faire braquer est une expérience toute nouvelle pour moi et dont je me serais bien passé… En même temps il était assez loin, mais quand même, il avait épaulé le con…
Je continue un peu et arrive dans le village de Mircea Voda Gara où les gens à qui je demande une place dans le jardin m’invitent à dormir dans leur salon. Ils m’invitent aussi à partager leur repas et je passe donc une bonne soirée en leur compagnie. J’apprends d’ailleurs que le mari est militaire. Il est affecté à la garde de l’écluse en question. Je lui demande, en rigolant, si ce n’est pas lui qui m’aurait braqué un peu plus tôt. Heureusement, ce n’est pas lui. Il m’explique néanmoins que c’est un point stratégique car le canal mène à la Mer Noire et que toute la zone est étroitement surveillée et protégée par les militaires. Il me dit aussi que sur le pont il y a un panneau d’interdiction de prendre des photos. Je lui confirme que je ne l’ai pas vu et l’on rigole ensemble de ma maladresse oculaire…
Le lendemain, je repars en direction de Constanta. J’y arrive dans l’après-midi et visite un peu la ville. Au moment de repartir, il fait un sale temps et je décide de dormir à l’hôtel. On dirait que je m’embourgeoise moi…
Le jour suivant, c’est l’entrée en Bulgarie. Sept ans après ma dernière (et trop courte) visite dans ce pays, je retrouve l’alphabet cyrillique et les postes frontières de style soviétique qui paraissent désert à l’œil inaverti qui est le mien…
Un peu plus tard, après 80 Kms, je fais une pause dans le village de Shaba où je tape le ballon avec des jeunes du coin pendant une petite heure. Je repars ensuite et termine cette première journée bulgare à Topola, un petit village après Kavarna, et ce, après 105 kilomètres. Je me fais inviter par une famille de la minorité turque de Bulgarie dont seule la fille parle anglais. Elle joue donc l’interprète afin que je puisse communiquer avec ses parents. J’ai droit à un bon repas et, après tous ces kilomètres sous le soleil, la pluie, le vent contre et le foot on peut dire que ce n’est pas du luxe.
Le lendemain, après les remerciements, je repars sous une pluie fine mais continue. Malgré les sacs-poubelles anti-pluie dont sont affublés mes bagages, ça traverse un peu. J’ai les jambes un peu ramollies et la pluie n’aidant pas, je ne fais pas plus de 60 kilomètres. Je m’arrête à Varna, grosse station balnéaire de la Mer Noire. Je descends dans une auberge pas chère remplie d’anglo-saxons… Ils sont sympas et arrivent à m’entraîner dans un karaoké le soir même. Parmi eux, se trouve un couple de québécois dont le gars ressemble à Tom Cruise. On rigole bien et on prend quelques photos souvenir sur ce thème.
Ce soir-là, c’est Pâques. En tout cas c’est la Pâque bulgare. Les gens se rendent à une espèce de messe de minuit et, en rentrant chez eux, ils emportent une chandelle allumée. C’est vraiment mignon de voir tous ces gens, de nuit, dans les rues de cette jolie ville avec leurs chandelles à la main. Des bulgares m’ont expliqué que si la chandelle s’éteint avant que l’on rentre chez soi ça veut dire qu’on a pêché. Entre nous, le gars qui habite dans le centre, à côté de l’église, ne doit pas être un gros pêcheur… En revanche, le banlieusard, lui... Mais bon, il n'avait qu'à pas être pauvre...
Et puis, le jour suivant, dimanche premier mai, je prends la route assez tardivement, vers les 11H pour ce qui sera, néanmoins, ma plus grosse étape jusqu’ici. En effet, en sept heures et demie, je me rends de Varna à Burgas, à 138 kilomètres de là. Il faut dire que j’ai une copine sur place, Dimana, qui va pouvoir me montrer un peu la ville jusqu’à mercredi, date à laquelle elle rentre sur Sofia. Je souhaitais donc arriver le jour même à Burgas. En dépit de mon départ tardif, des kilomètres et des interminables montées trop vite redescendues, je suis à Burgas vers les 18H30.
Et donc, depuis dimanche (on est mardi aujourd’hui), je suis à Burgas. La ville est sympa. Deux grandes artères piétonnes lui donnent vie durant la journée. Il fait beau et l’on est en bord de mer. Dimana et ses amies m’ont dit que durant la saison l’affluence qu’il peut y avoir est assez énorme. J’ai rencontré un suisse qui faisait la manche avec une flûte et qui jonglait un peu. Il m’a demandé de gratter un peu avec lui et on a fait un peu d’argent. Résultat, le lendemain (lui était reparti), j’ai recommencé tout seul et gagné encore plus que la veille. C’est donc cool de savoir que par ici ça marche assez et qu’en cas de besoin…
Demain, je reprends la route en direction de la frontière. Je devrais l’atteindre en fin de journée après environ 90 kilomètres.
La dernière fois j’avais promis de faire plus court et je n’ai pas tenu la promesse. Donc, pour la prochaine fois j’essaierai de tenir, mais je ne promets rien… ;-). A bientôt tout le monde.
Gros bisous bulgares,
Лионел
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Petit complément d’information sur la séparation…
A chaque fois que je parle de ce voyage on me demande : « T’es parti tout seul ? » et je réponds toujours : « Non, non. Avec un pote, mais on s’est séparé à Bucarest ». Et bien sûr, la curiosité de mon interlocuteur l’incite systématiquement à me demander : « Mais pourquoi vous êtes vous séparés ? »
L’origine de notre séparation remonte aux dernières semaines précédent le départ. Peu à peu, j’ai réalisé que Richard et les siens (Maud, Dimitri, et d’autres personnes ayant intégré l’association) avaient tendance à mettre le projet en avant, c'est-à-dire : à le faire passer avant le voyage lui-même, et cela ne me plaisait pas vraiment. Il me semblait alors que Richard y voyait un tremplin professionnel pour son retour, ce qui n’était pas condamnable, bien au contraire, mais l’éloignait de l’idée initiale d’un voyage d’abord et d’un projet ensuite. Ou alors, c’est que nous ne nous étions pas compris, que la communication avait été mauvaise entre nous. Résultat, je voyais nos deux objectifs s’éloigner irrévocablement, et cela m’inquiétait.
J’aurais alors peut-être dû dire STOP ! Tout simplement. Mais c’est très dur d’arrêter une machine qui est déjà en marche et qui tourne à plein régime (une petite fête dans un bar avec des amis pour présenter le projet et récolter quelques fonds était déjà prévue, pas mal de personnes de nos entourages respectifs étaient inscrits dans notre asso, le départ approchait, etc.). Au final, je me suis dit qu’une fois sur la route la réalité du terrain, le quotidien et les rencontres aplaniraient nos différences et rendraient le voyage possible. J’avais tort…
Je ne m’attarderai pas sur les conditions de notre séparation car les remous provoqués, notamment au niveau des membres de Keila qui supervisaient le voyage depuis la France, ont malheureusement envenimé une situation déjà difficile. Je tiens juste à rendre hommage au comportement adulte de Richard qui a su, (à l’exception de deux mails lors de notre guerre des mails avec Keila) garder une certaine objectivité et un certain sang-froid, et ce malgré le profond désagrément que lui occasionnait ma décision. Dans cette histoire, j’ai perdu des gens que je considérais comme des amis, mais j’ai pu préserver mon intégrité et accomplir mon voyage. La décision fut difficile à prendre mais c’était la bonne et la suite le prouva.