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MESSAGE N°11, le : 06/08/2005

Téhéran - Quetta...liban...

Bon, me voici au Pakistan. Ça fait maintenant plus de 24 heures et l'on ne m'a toujours pas enlevé pour me couper la tête. Que se passe-t-il ? M'aurait-on donc menti ? Bon, encore 24 heures et je vais me plaindre auprès des autorités. Mais avant de vous parler de mes premières impressions sur cet étrange pays qu'est le Pakistan, laissez-moi, si vous le voulez bien, terminer l'Iran !

 

Parce que, c'est pas que... Mais y en a à dire sur l'Iran. Tellement d'ailleurs que je ne sais par où commencer. Ben, tant qu'à faire, je vais reprendre où je vous avais laissé : dans l'attente de mon visa pakistanais dans cette charmante capitale qu'est Téhéran... Vous aurez, je suppose, relevé la pointe d'ironie dans la voix de mon clavier... En effet, si deux mots n'ont bien rien à faire dans la même phrase ce sont bien ces deux-là : charmant et Téhéran.

 

Téhéran c'est grand. Très grand... Lâchons ce mot qui revient dans chacun de mes mails : énooooorme (seul le nombre de "o" varie.). Tellement énooooorme que tout se fait en voiture. Et comme je vous le disais dans le mail précédent, avec un litre à 800 rials (environ 7 centimes d'euro !) ils peuvent se le permettre les téhéranois[i] et téhéranoises22... Si Erevan était une ville à dimension humaine, Téhéran est tout le contraire (mais non, pas un homme à dimensions urbaines... Vous ne comprenez rien ou quoi ?). Un trafic hallucinant (tiens, en voilà un mot qui revient souvent...), une pollution atmosphérique insupportable, et donc, pas une ville pour les vélos. Je vous passe le fait que plus de la moitié du parc automobile de ce monstre à taille pas humaine qu'est la capitale iranienne est composée de mes amis les taxis. Evidemment, peut-être plus qu'ailleurs, ils conduisent comme des cochons... Ils ne seraient pas contents, en tant que bons musulmans, que je les traite ainsi mais dans cette comparaison, ceux pour qui je suis vraiment désolé ce sont les cochons qui, si on leur donnait l'opportunité, conduiraient beaucoup mieux, j'en suis certain...

 

L'autre moitié du parc automobile ce sont des motos. C'est incroyable. A croire que TOUS les téhéranais[ii] possèdent une ou plusieurs motos. Il s'agit en général de 125 centimètres cube qu'ils conduisent comme des taxis... une catastrophe. Le reste des voitures ce sont des camions... Ils conduisent un peu mieux que les taxis mais polluent quand même plus. Et donc, pour apercevoir les jolies montagnes environnantes (enneigées en hiver), il faut se concentrer, prendre sa respiration, et... Se les imaginer d'après les photos qu'on en a vues dans les guides touristiques... Sinon il vous faut vous en rapprocher en faisant une bonne quinzaine de kilomètres dans leur direction depuis le centre-ville. L'autre alternative c'est d'attendre le vendredi (jour de prière) où l'activité humaine et économique ralentit vraiment (à défaut de stopper totalement) et où l'air devient respirable et reprend l'une de ses propriétés (qu'on a apprise à l'école primaire) : la translucidité.

 

[i] téhéranois : Habitant de Téhéran

[ii] téhéranais : Habitant de Téhéran

Bon, d'accord c'est un tableau assez négatif que je vous fais là (en plus il n'est pas exhaustif !), mais si l'on creuse un peu... Eh ben c'est pas beaucoup mieux ! En effet, Téhéran est une ville moderne sans vrai centre historique ni monuments dignes de ceux d'Ispahan ou Shiraz. Sans vrai caractère non plus. Il y a certes un immense bazar, assez sympa, mais ça s'arrête là. Bien sûr je ne prétends pas connaître tout Téhéran, ni ses habitants, les fameux téhéraniens[i], mais bon, c’est vrai que ça ne m'a vraiment pas emballé. En plus, étant plus ou moins en difficultés financières, je n'ai pas pu profiter des musées qui, d'après le Lonely Planet, représentent le seul vrai attrait de cette ville.

 

« Quoi ? Qu'est-ce que t'as dit avant profiter des musées ? Difficultés financières ?... Alors t'es déjà à cours de blé ? », Entends-je déjà s’inquiéter les amis (Jojotte, Loïc, Laurent, etc. ou ma mère...) avant de me proposer de m'aider sur le douloureux plan financier. Meuh non ! Que Nenni ! Je gère comme un dieu ! Non, en fait, quand je parle de difficultés financières, il faut que je réexplique depuis un peu plus haut. En effet, je ne me suis aperçu de l'impossibilité de retirer de l'argent en Iran avec ma carte VISA qu’à la fin de l’Arménie, à Kapan, plus précisément. Heureusement d'ailleurs, car cela m'a permis de retirer une dernière fois (avant l'Iran) du précieux liquide (non, pas du pétrole, ni du Whisky) qui m'a été bien utile. Et donc, une fois sur Téhéran, devant l'impossibilité évidente d'obtenir mon visa pour le Pakistan (avant le retournement de situation que vous savez si vous lisez bien assidûment mes mails...), je me trouvais dans la situation suivante : plus assez de liquide pour visiter tout de même le reste de l'Iran à vélo et ensuite revenir à Téhéran prendre un avion pour Bombay. Et si je voulais visiter ne serait-ce qu'un petit peu l'Iran (hors Téhéran et ses Téhériens[ii]), il me fallait faire très attention à l'argent que je dépensais. D'où le terme, usurpé, de difficultés financières. J'eusse dû dire : Difficultés liquidaires[iii]... Ma foi !

 

Vous comprendrez sans aucun doute qu'après 5 jours passés dans cette grande baratte (clin d'œil à Philippe Richeux et Annie Nobel !), une fois que j'obtins mon visa pakistanais, à 16H10 très précises, je me précipitai à mon hôtel, enfourchai mon vélo et TAILLAI LA ROUTE.

 

Maintenant, il me faut vous préciser l'autre difficulté à laquelle j’étais confronté : Le manque de temps. Paradoxal me direz-vous, pour un gars qui part faire Paris - Shanghai à vélo sur un an et demi (sûrement moins vu la vitesse à laquelle je progresse). Paradoxal, pas tant que ça ! En effet, la prolongation d'un mois et demi que j'avais demandé et qui aurait été suffisante pour rallier la frontière pakistanaise en passant par toutes les étapes que je m'étais fixées ne m'a pas été accordée. Au lieu de ça, ils ne m'ont donné que la moitié : 3 semaines. Ayant déjà passé les deux premières semaines de mon visa original (dont 5 jours chez les téhérageois[iv]), il ne me reste plus que trois semaines effectives pour rejoindre le Pakistan, à environ 2000 kilomètres de là... 21 jours : 2000 bornes... Grosso modo, avec les jours d'arrêt sur Ispahan, Shiraz et Bam, ça fait clairement plus de 100 bornes par jours sur les trois prochaines semaines. A priori, je me disais qu'à un moment ou un autre, je devrais faire du stop en pick-up afin d'arriver à temps à la frontière. Il faut savoir, je l'ai su en lisant le Lonely Planet d'un français rencontré à Ispahan, que si l'on excède la durée du visa en Iran, ils ne vous laissent pas sortir et il faut passer devant un tribunal téhérantais[v] qui vous inflige une amende... Bref, à éviter dans mon cas. Surtout que mes difficultés financières n'étaient pas totalement résolues. En effet, j'avais assez d'argent pour rejoindre la frontière mais c'était un peu juste... En tout cas, une amende aurait été plutôt problématique.

 

Bref, en ce premier jour, je parcours une cinquantaine de kilomètres avant de planter la tente dans un paysage assez aride, non loin d'une station-service où j'irai me réapprovisionner demain matin, avant de reprendre la route.

 

[i] téhéraniens : Habitant de Téhéran

[ii] Téhériens : Habitant de Téhéran

[iii] liquidaire : Adjectif qualificatif se rapportant au blé liquide

[iv] téhérageois : Habitant de Téhéran

[v] téhérantais : Adjectif qualificatif de Téhéran

Et donc, le lendemain matin, je reprends la route sous un soleil de plomb. Je dois modestement avouer que je supporte plutôt bien la chaleur. Je longe un lac salé, grimpe un petit col et le redescends de l'autre côté (normal, non ?). Et j'avance, et j'avance. J'avance tant qu'à 17H00 j'ai déjà fait mes 100 bornes. Depuis la Turquie, je parcours toujours au minimum 80 kilomètres par jour. Je continue, après avoir contourné Qom, et termine finalement cette énooooorme journée de vélo en éclatant mon précédent record personnel (138 Kms, en Bulgarie) pour finir à 160 kms. Je pose la tente derrière un petit monticule de terre en bord de route, dévore le melon jaune que je me trimballe depuis 40 bornes, et au dodo.

Les deux jours suivant me permettront d'atteindre Ispahan (Esfahan en Farsi dans le texte...). Ceci dit, c'était mal parti. En effet, le vent fut contre moi une bonne partie de cette troisième journée depuis Téhéran. Ajoutez à cela la fatigue du jour d'avant et vous comprendrez que je me sois limité au minimum syndical : 82 Kms. Il faut avouer que la sieste du début d'après-midi dans un parc de Delijan ainsi que la petite session Internet qui s'ensuivit ne firent rien pour augmenter le kilométrage de l’étape. Malgré tout, c'est bien le vent le premier responsable de mes difficultés à avancer lors de cette dure journée. Heureusement, je profite des paysages.

C'est souvent aride, montagneux, rouge, multicolore, mais quand même assez rouge. Et beige aussi. Je navigue (j'aime bien ce verbe pour le vélo, ça évoque bien la liberté qu’il nous offre) sur une espèce d'altiplano délimité par des montagnes relativement pas hautes mais qui tapent pourtant souvent au-dessus des 2500 mètres. Les journées de vélo se résument à de looooongues lignes droites sur des pentes peu inclinées, montantes ou descendantes, c'est selon... De temps en temps, un village ou une station-service, ou un restoroute pour les innombrables routiers qui transitent par les mêmes grands axes que j'ose emprunter, moi, sur ma randonneuse... Je dis bien : "j'ose", car je vais à présent vous parler de ma sulfureuse relation avec les routiers iraniens. Pour ceux qui s'attendent à du sexe, rapport au mot "sulfureuse", ils vont être déçus !

 

Les fameux routiers iraniens. Ce n'est pas évident d'en parler car parfois je les hais, et d'autre fois ils me font halluciner par leur gentillesse. Gardons le meilleur pour la fin et parlons d'abord des cons. Les cons ce sont ceux qui considèrent qu'un vélo n'est pas un être humain... Bon, d'accord, ils ont raison. Mais quand il y a justement un être humain sur le vélo, c'est un peu pareil. Résultat, si je suis sur la chaussée et qu'eux veulent passer, je dois me pousser, sinon... Sinon, ils m'écrasent. C'est simple, non ? En gros, lorsqu'il n'y a personne en face, ils consentent à faire un écart pour me doubler et donc ne pas m'écraser, ce dont je leur suis reconnaissant. En revanche, s’il vient quelqu'un en face quand ils doivent me doubler, il est simplement hors de question qu'ils daignent déplacer leur pied vers la pédale de frein pour une misérable vermine comme moi sur un vélo encore plus verminable[i], quand il leur est tellement plus facile de me klaxonner comme la mort pour me signaler que si je n'ai pas quitté la bande de bitume de 30 centimètres de large que j'occupe dans les 7 secondes (c'est une moyenne, ne chipotons pas), je ressemblerais à l'une des nombreuses crêpes d'animaux croisées sur le chemin... Bref. Ça m'énerve sec ! Encore plus drôle : Les véhicules qui arrivent en face et qui me donnent l'impression d'avoir découvert la formule de l’invisibilité ! C'est-à-dire que quand quelqu'un arrive en face, on attend qu'il soit passé pour doubler. Hé bien en Iran, si c'est un vélo, on n'attend pas. On double. Et le cycliste, s'il veut survivre à cette manœuvre ma foi plutôt anodine de l'automobiliste, IL SE DECALE DANS LES GRAVIERS OU LE BAS-COTE... C'est selon... Bref, ça aussi ça m'énerve. Et ça se termine souvent par un doigt tendu bien haut et des insultes postillonnées en direction du chauffard. Ce dernier n'a d'ailleurs bien souvent pas conscience d'être un chauffard ni d'avoir fait quelque chose de répréhensible tellement il est naturel (culturel ?), dans ce pays du moins, qu'un gars à vélo n'est rien puisqu'il n'est pas en voiture. Bref... C'est énervant, vous ne trouvez pas ?

 

Je pourrais continuer presque sans fin à vous parler des conditions routières en Iran mais ça deviendrait vite obsessionnel. Ceci dit, je vais terminer par les deux derniers fléaux des routes, à savoir les motos et le klaxon. Les motos d'abord ! Alors, l'âge minimum pour conduire des motos est de 10 ans pour les garçons et 137 ans pour les filles, ce qui fait qu'on voit très peu de filles conduire des motos. Pour les gars, entre 15 et 25 ans, le délire de certains est d'arriver à fond à côté de moi et de me raser en me hurlant dans les oreilles pour me faire peur. Là aussi ça se termine souvent par des gestes agressifs de ma part les invitant à venir se prendre (me mettre ?) une dérouillée. N'allons pas en conclure que les iraniens sont un peuple de couards, (ils ont quand même battu l'Irak, eux !), mais, bien qu'à chaque fois qu'ils me font des crasses ils soient au minimum deux sur la moto, ils ne répondent jamais de manière positive à mes belliqueuses invitations. Tant mieux ! Personnellement je ne me bats jamais, et les fois où ça m'est presque arrivé, je ne me souviens pas avoir gagné...

 

L'autre fléau, le VRAI, c'est le klaxon. Sans mentir, moi qui déteste déjà l'usage abusif du klaxon, notamment en ville ou dans les embouteillages, moi qui enverrais volontiers les abrutis de l'avertisseur sonore en séjour prolongé à Guantanamo, ici je suis servi. Au moins un véhicule sur trois me klaxonne. Je ne vous mens pas par exagération, je vous assure. La plupart du temps, c'est pour saluer le visiteur étranger que je suis. D'autres fois, c'est pour me faire peur, genre quand le camion me double à toute berzingue et qu'il klaxonne très fort quand il est juste à ma hauteur. Évidemment, le vent contre m'a empêché de l'entendre arriver et le bruit me fout une frousse à dérégler mon pacemaker...

 

La plupart du temps, donc, ça part d'un bon sentiment, si l'on peut dire, mais pour moi, c'est un vrai cauchemar. Imaginez, entre deux et trois cents véhicules qui vous klaxonnent quotidiennement... C'est juste infernal. Je me suis donc acheté des bouchons auditifs. Malheureusement, je dois les enlever à chaque fois, autre fléau, qu'un motard ou automobiliste ralentit à ma hauteur pour tchatcher gentiment avec moi, me poser plein de questions alors qu'il conduit (imaginer un gars qui conduit au portable, mais en pire...) et à qui je n'ai plus envie de répondre quand il s'agit du dixième de la journée qui demande si le "Mister" vient d'Allemagne ou de Russie (ici je suis définitivement russe ou allemand !), où il va, s'il est marié, s'il a des gosses, où il va, s'il voyage tout seul, à plusieurs, et où il va. J'en deviens mal aimable tellement cette curiosité, qui part d'un bon sentiment, m'exaspère. Ces questions et cet étouffement qui m'oppressent me rendront la fin du séjour en Iran un peu plus tendue. Mais n'anticipons pas.

 

Pour revenir aux routiers iraniens, le côté sympa, c'est surtout, mais pas seulement, quand ils descendent de leur machine, qu'ils m'offrent fruits, eau bien glacée ou mille autres petites attentions qui font honneur à l'hospitalité iranienne. Souvent, ils me proposent de m'emmener dans leur camion mais, pour l'instant je résiste à la tentation, surtout que j'avance bien. En effet, le jour d'après le vent, je rallie Ispahan après une autre grosse étape de 150 kilomètres. Il faut dire que j'ai passé une excellente nuit dans mon hamac, sous les étoiles, juste à côté d'un vendeur de pastèques.[i] verminable : Adjectif qualificatif, mélange des mots Vermine et minable.

A Ispahan, je contacte Massoud, un gars rencontré à la frontière iranienne et qui m'avait dit qu'il me logerait sur Ispahan. Evidemment, il avait un peu parlé dans le vent, comme beaucoup de gens lorsqu'ils vous proposent de vous héberger quand vous viendrez par chez eux... Ceci dit, il m'aide tout de même à trouver un hôtel très bon marché (moins de 2 euros pour un tapis au sol dans une pièce au moins-un) dans le centre-ville.

Massoud me fait visiter Ispahan le lendemain, dans la voiture de son père. La voiture n'est pas le moyen idéal pour visiter cette charmante cité (et cette fois sans ironie), mais il me le propose tellement gentiment que je ne peux refuser. Massoud parle très bien anglais et c'est un vrai plaisir pour moi de pouvoir m'informer sur les réalités du pays auprès de l'un de ses habitants. Comme il vient d'un milieu assez aisé, il me fait part de ses opinions assez négatives envers le régime en place dans son pays. Et je me dis que, tout de même, les mollahs n'ont pas beaucoup de soutien dans la population. En effet, la plupart des gens avec qui j'approfondis la discussion sont contre le régime de manière générale et contre le nouveau président en particulier. La plupart souhaiterait que tout cela change et que le pays s'occidentalise. Ceci dit, si la femme pouvait, dans ce nouvel Iran démocratique et occidentalisé, garder sa condition de sous-homme boniche à tout faire, ce serait un sacré bonus... Et oui, comme nombre d'entre nous, les iraniens veulent le beurre, l'argent du beurre et le cul de la crémière... Il faut dire qu'aujourd'hui ils n'ont même pas le beurre car ils n'ont pas l'argent pour se l'acheter (ce n'est qu'une image, je vous rassure, ils ont un peu de beurre et un peu d'argent...) quant au cul de la crémière, enfourné dans son sac à patate, il est difficilement accessible...

 

Néanmoins, comme me l'a fait remarquer un français rencontré à l'auberge, les gens avec qui nous pouvons converser parlent anglais parce qu'ils ont reçu une éducation en rapport avec leur origine sociale relativement aisée. Eux sont forcément contre le régime. Il faut bien comprendre que dans un Iran plus démocratique et tourné vers l’occident, ils gagneraient probablement plus et pourraient jouir de tous les avantages d’une bourgeoisie à l’occidentale.

 

En revanche, une majorité des gens avec qui les conversations se résument aux questions-réponses précédemment citées continue à soutenir le régime qui, bien que corrompu, réalise tout de même des choses. Je veux dire par là que si les mollahs ne donnaient pas un minimum le change, le système ne tiendrait pas, surtout avec les sacrifices qu'il impose à sa population au niveau des mœurs... En effet : Pas d'alcool (moi je m'en fous, mais bon...), pas de discothèques, peu de musique, tout ferme à 22H00 au plus tard dans les villes, séparation, que dis-je ? Apartheid entre hommes et femmes. Savez-vous, messieurs dames, que les femmes montent à l'arrière dans les autobus, que s'il y a file d'attente, pour le pain notamment, dans les villages, les files d'hommes et de femmes sont séparées, etc.

 

Quoiqu'il en soit, les infrastructures semblent bonnes, les routes sont en excellent état et, partout, on voit des chantiers de travaux publics pour restaurer bâtiments et mosquées.

Et puis, il ne faut pas oublier la propagande, point fort des régimes forts, et qui, au travers de la télévision d'état et des prêches des Imams, a vite fait de décérébrer une population peu éduquée et lui faire croire que ça pourrait être pire et que si c’est pas mieux c'est de la faute à l'occident, notamment à cause de mes amis les Ricains... Un exemple de cela : le peu de fois où j'ai été confronté à la télévision iranienne, je suis toujours tombé sur les spots de pub ventant les bienfaits de l'énergie nucléaire[1], comme pour préparer la population à soutenir le gouvernement dans le futur bras de fer, aux probables funestes conséquences, qui va l'opposer aux pays occidentaux...

 

Mais, puisque l'on parle du nucléaire, jolie transition, n'est-il pas ? Revenons à Ispahan. Ispahan fut la capitale (quelle grande ville iranienne ne le fut pas ?) de la Perse à un moment donné de son histoire si mouvementée. Elle en a gardé de magnifiques et grandioses mosquées, des palais, des ponts remarquables et des parcs très agréables. C'est probablement la plus belle ville d'Iran. Le couple de Français de Tbilissi m’avait prévenu : "En Iran, si tu n'as pas trop de temps, rends toi juste à Ispahan", et je dois avouer qu'ils avaient raison. Enfin, l'idéal c'est d'avoir du temps, non ? Pour ma part je ne comptais rester qu'une journée complète et repartir le lendemain, rapport à mon timing de ouf... Mais l'atmosphère de la ville et la bonne ambiance à l'auberge (guitare, conversations prolongées, échanges d'infos et, surtout, Jungle Speed le soir avec des français et un espagnol, tous très sympas) me décident à prolonger mon séjour d'une journée. Il faut dire qu'Ispahan le mérite. Je vous conseille même d'aller visionner les photos en priorité...

 

[1] Je n'entrerai pas dans le débat du pour et du contre, même si je trouve logique l'aspiration du gouvernement iranien à posséder l'énergie nucléaire civil, et même la bombe atomique, puisque d'autres pays la possède, et notamment ceux qu'ils considèrent comme leurs ennemis : USA et Israël. Je trouve cela logique, mais ça ne veut pas dire que je suis pour… Personnellement, si on m’écoutait, ça fait longtemps que plus aucun pays n’aurait d’armes… Atomiques, conventionnelles, chimiques ou autres. Ni d’armée, d’ailleurs ! Dans ce cas précis, le problème réside bien sûr dans le tempérament des dirigeants iraniens et ce qu’ils veulent faire de l’arme atomique…

Et puis, je repars en direction de Shiraz. "Pourquoi cela ?" me demanderont ceux que la logique géographique et un sens aigu de l'observation auront fait réaliser que cela représentait un détour sur mon chemin vers la frontière, alors que je suis supposé être pressé par le temps et, surtout, par mon visa... Eh bien, jeunes et moins jeunes gens, il me faut vous dire, pour ceux qui ne le savent pas, que 50 kilomètres avant Shiraz se trouvent les ruines de Persépolis, détruite par Alexandre le Grand, ainsi que la tombe de Darius II (la revanche !). Et rien que le nom, Persépolis, fait qu'il figurait (tout comme le Taj Mahal, la Baie d’Halong et la Tour Eiffel ;-) sur ma liste des immanquables bien avant le départ.

 

Depuis Ispahan, je rejoins le village de Veshareh au terme d'une jolie étape un peu venteuse (contre, évidemment). Je suis accueilli le soir pour la première fois véritablement, dans un foyer iranien par le chef de famille. Ils sont très gentils, m'offrent bien sûr à manger et à boire (le père me propose d'entrée de la vodka, que je refuse à son grand étonnement). Concernant l'alcool, un belge d'origine iranienne, en visite dans sa famille à Téhéran, m'expliquait qu’il est très facile de s'en procurer mais que l'on risque 70 (je crois) coups de bâton (ou de fouet, je ne suis pas expert) si ça se sait... Chaud, non ?

Le lendemain matin, ils me font visiter leur village et les ruines des habitations en briques d'argile. Je rencontre une vache fort sympathique qui déambule dans ce labyrinthe de glaise sèche. Et me voilà reparti. Mon but est d'atteindre Shiraz en 4 jours depuis Ispahan, et j'en suis au deuxième jour. Alors je trace... et après 90 bornes je me retrouve à Abadeh. Je compte bien faire encore une vingtaine ou une trentaine de kilomètres quand je me fais littéralement alpaguer par un bonhomme qui tient à ce que je passe la nuit dans sa famille. Il a l'air sympa, honnête et sincère, alors j'accepte. Cela m'arrange bien d'ailleurs car je suis cradissime[i], tout comme mes affaires. Chez lui, je peux donc prendre une douche Mururoa (de décontamination quoi !), laver mes affaires et me restaurer des produits de la ferme que le bonhomme en question possède dans les environs. Sa femme et ses enfants sont très sympas et parlent aussi un peu anglais. La manie du monsieur en question est justement d'inviter tous les étrangers qui atterrissent on ne sait comment dans cette petite ville sans véritable attrait. Il me fait voir son livre d'or dans lequel je peux lire quelques extraits des messages de remerciements qu'ont écrit mes nombreux (plus d'une cinquantaine je dirais) prédécesseurs. Demain matin, avant de repartir ce sera mon tour... En attendant, ils m'emmènent voir une famille d'amis afin que je leur joue de la guitare. Soirée très sympathique.

[i] cradissime : Superlatif de crade.

Et me voici reparti très tôt le lendemain matin, toujours en direction de Shiraz. Je croise un motard autrichien avec qui je converse quelques minutes avant que nous ne nous quittions en nous souhaitant mutuellement bonne chance. C'est encore une journée difficile car le vent est contre et en plus j'ai un petit col à franchir. Les paysages sont toujours très jolis et je ne me lasse pas de les contempler tout en m'échinant à pédaler contre le vent... Durant la deuxième montée de la journée je me fais remorquer sur quelques centaines de mètres par un camion dont le chauffeur, une fois en haut, s'arrête et m'offre à boire ainsi que du melon... Hé oui, c’est dur de généraliser sur les routiers iraniens... D'autant que durant les 30 kilomètres suivants je frôle par deux fois la mort par écrabouillement contre la chaussée à cause de routiers assassins.

 

Bon, finalement, après une autre de ces journées interminables (155 Kms), j'échoue dans un petit restoroute au pied d'une jolie montagne à quelques 85 Kms de Shiraz. Le proprio m'invite à dormir sur un tapis dans une pièce de prière, à l'intérieur donc. Et bien lui en prend car dehors les moustiques sont intraitables. Je dois dire que j’ai un mauvais a priori sur lui car sa tête ne me revient pas vraiment. Hé ben j'ai tout faux. Il est absolument adorable avec moi, m'offre même le repas et se montre plein d'attentions à mon égard.

Et le lendemain matin me voilà reparti en direction de Persépolis, à une trentaine de kilomètres de là. Je l'atteins en un peu plus d'une heure. Et là ! Sur qui tombé-je ? Sur mon gars Richard. Moi qui le croyais sorti du pays ces jours-ci, là encore j'avais faux. Je vous passe les détails des derniers échanges de mails que nous avions eu (L'association, Richard, Dimitri et moi) et qui avaient débouché sur une période que l'on pourrait qualifier de glaciaire quant à notre (ancienne) relation amicale... Mais là, en direct live, à 8000 bornes de Paris, avec des expériences et des lieux visités en commun, avec toujours environ 2 semaines de décalage, hé ben on fait fi de ses ressentiments. Résultat, une conversation agréable, à défaut d'être réellement chaleureuse, avec mon ex-partenaire, durant un petit quart d'heure. Lui venait de terminer la visite du site de Persépolis et moi j'allais la commencer. Nous nous proposons donc de nous revoir le soir dans les rues de Shiraz, pensant que ce sera facile de nous y croiser. L'avenir nous prouvera que non... Et je visite l'impressionnant site de Persépolis.

Moi qui voyait ça énorme, comme une ville quoi, je suis un peu déçu par la taille de l'ensemble. En revanche, les monuments qui ont été préservés et restaurés sont magnifiques et me laissent pantois. Je passe donc plus d’une heure à déambuler à travers ce qui fut la capitale de la Perse (quand je vous disais...) et repars vers Shiraz, non sans avoir, avant même Persépolis, visité le site du mausolée de Darius II.

Sur Shiraz, je trouve difficilement un hôtel mais ne retrouve ni le gars Richard, ni les français croisés sur Ispahan et qui devaient être dans le coin. Tant pis. Je profite d'une journée complète sur Shiraz pour visiter un peu la ville et, notamment, une grosse mosquée interdite aux non musulmans... Tant d'intolérance me pousse à déclarer aux gardes de l'entrée que je suis un bon musulman moi-même et que je suis en Iran pour étudier le saint Coran. Je suis aidé en cela par mon guide, un Shirazien[i] de souche rencontré sur le vélo. A l'intérieur, c'est vraiment impressionnant. Mon introducteur m'explique pleins de choses sur l'Islam et notamment l'histoire des huit Imams.

 

D'après lui, enfin, d’après le Coran j'imagine, depuis le prophète Mahomet, il y a eu 8 Imams descendant de lui directement. Tous sont de super saints dans la religion musulmane et les villes où l'on trouve les tombes de ces imams sont des villes saintes. En Iran, par exemple, la ville la plus sainte est celle de Mahad, dans le nord-est, car elle abrite la tombe de l'imam Résa. Et donc, pour revenir à Shiraz, la mosquée interdite aux mécréants comme moi abrite la tombe d'un neveu d'un des 8 imams. Donc de parenté éloignée, mais quand même, avec le prophète Mahomet. Enfin, je dis tout ça, c'est si j'ai bien compris... S'il y a des spécialistes de l'Islam parmi vous, qu'ils n'hésitent pas à m'apporter des précisions, surtout si je nage dans l'erreur la plus blasphématoire. En tout cas, et ça je l'ai bien compris car je lui ai fait répéter, je vous gardais le meilleur pour la fin, le huitième imam est supposé être encore vivant et âgé d'aux alentours de 1000 ans (pas d'erreur de zéro...). On ne sait pas où il se trouve, mais il apparaît de temps en temps pour réaliser des miracles avec l'aide des gens autour de lui. Je ne ferai pas de commentaire de peur de déclencher une polémique avec les apôtres de la tolérance envers les intolérants... Mais bon. Au final, j'ai vu la tombe du neveu d'un des imams et j'en suis... Absolument pas bouleversé. Ce que je trouve drôle c'est qu'il faille, toujours d'après mon guide, et d'après ce que j'ai vu, glisser un petit billet à travers les fentes dans les vitres du mausolée (prévues à cet effet !!!) pour aider à convaincre le saint que le service que l'on demande (réussite en affaire, en amour ou autre, mais toujours réussite de quelque chose) vaut la peine qu'il se bouge un peu. Quand même ! Partout les mêmes recettes, c'est plutôt navrant. Enfin, si avec cet argent l'on peut conserver et restaurer les magnifiques mosquées que le monde islamique nous offre, alors, je ne dis plus rien...

 

[i] shirazien : Habitant de Shiraz.

Et je quitte Shiraz le lendemain. Cette fois, il devient réaliste de penser que je puisse arriver à temps à la frontière sans emprunter de véhicule motorisé. Ceci dit, je dois maintenir mon rythme actuel de 110 ou 120 Kms par jour. A commencer par cette première journée en direction de Bam, ma prochaine étape. Cette journée de plus de 100 kilomètres va m'amener à Djhan Abad. Mais il est tard quand j'y arrive et il fait déjà nuit. Un fermier, spécialisé dans les pastèques et les chèvres m'invite à manger et, finalement, à dormir chez lui. Le repas est excellent même s'il ne s'agit que de pastèque, fromage de chèvre (maison, excellent !) et pain (maison, excellent encore !). Une petite séance guitare et au dodo.

Le lendemain matin, quelques photos avant de repartir pour une superbe étape. En effet, j'ai choisi, contre vents, marées et conseils d'iraniens avisés, d'emprunter une route qui n'est qu'une piste de terre. Je dois dire qu’elle est beaucoup plus courte que la route officielle et, surtout, elle longe un lac salé. Et me voilà donc sur cette piste totalement déserte (ça fait du bien qu'aucun jeune motard ne vienne me poser les sempiternelles mêmes questions sur d'où je viens, etc.). J'ai pris pas mal de flotte et une pastèque car le prochain village se trouve à une bonne trentaine de kilomètres. Et comme on peut dire que le trafic quotidien sur ce chemin de terre est proche du niveau de QI d'un chauffeur de taxi... je préfère prendre mes précautions.

 

J'arrive rapidement au bord du lac et m'émerveille devant l'envol des innombrables flamands roses qui picoraient jusque-là leurs algues roses. Ce spectacle, en plus du paysage, finit de me convaincre que la difficulté de la piste vaut la peine d'être affrontée. Bon, naïvement, je me disais que je pourrais peut-être rouler SUR le lac salé. Mais en fait non ! Il ne s'agit pas d'un dépôt de sel laissé par une ancienne mer intérieure maintenant disparue comme à Uyuni en Bolivie, mais d'un lac salé dont l'eau, en s'évaporant, laisse une pellicule de sel plus ou moins épaisse sur une bande qui varie de quelques mètres à quelques dizaines de mètres le long de ses rives. Résultat, en tentant de rouler sur le sel, je transperce la croûte de sel et m'enfonce dans une espèce de vase blanche. Je renonce rapidement. Je continue donc sur la piste jusqu'au village suivant. Là, je peux me restaurer et me réapprovisionner en eau et vivres. La journée se termine avec une baignade dans une mare d'eau légèrement salée (30 degrés minimum) en compagnie d'iraniens.

 

Et puis, j'arrive sur Neyriz après mes 120 bornes, bien content d'avoir contredit ceux qui disent que "c'est pas possible... blablabla", notamment un chauffeur de taxi sur Persépolis qui m'avait dit qu'il ne fallait pas passer par là car c'était un chemin de terre et que c'était trop désertique. Au final, le chemin s'est transformé en route après une quarantaine de kilomètres et la fin de l'après-midi fut des plus agréables. Dans un village on m'offrit même un kilo de figues et des bouteilles d'eau glacée (la panacée en ces endroits centigradement[i] élevés). Bref, je suis à Neyriz et un gars m'invite à dormir chez lui. Of course, il m'invite à manger. Et voilà comment je prépare ma première vraie traversée du désert.

 

[i] centigradement : Adverbe de centigrade.

En effet, en cette matinée ensoleillée - le croirez-vous ? - (C’est comme dire en cette matinée pluvieuse sur Dublin... A propos de l'Irlande, vous ai-je dit que l'Iran possède d'étranges similitudes avec l'Irlande... Voyez vous même : Le drapeau des deux pays est aux mêmes couleurs : orange, blanc et vert, sur les véhicules iraniens on lit :"IR" comme pour IRlande, vous voyez ? Enfin, et là j'atomise tout le monde avec cette révélation, en Iran comme en Irlande il semble y avoir plus de moutons que d'habitants... Alors ? Vous voyez ?). Donc sous ce soleil matinal, disais-je, j'entame LA MONTEE de ces derniers jours, sur une vingtaine de kilomètres avant de redescendre sur Qatruyeh. Là je me restaure et fait le plein de flotte, de pain et de biscuits car je ne vais trouver aucun point d'eau sur les prochains 120 kilomètres. Ou alors ce sera de l'eau salée, imbuvable. Ceci dit, et je n'ouvre pas d'autre parenthèse, mais c'est comme si, ça m'aidera à conserver ma flotte au frais... Le saviez-vous ? Pour conserver l'eau fraîche dans un endroit très chaud, il faut l'envelopper dans du tissu mouillé. Il parait que c'est le même système de transfert de chaleur que pour les réfrigérateurs. Moi, au début, quand j'ai lu ça sur un site de cycloroutard quelconque, je croyais que c'était encore un des trucs et astuces à la noix (désolé les noix !) dignes du guide du froussard... Mais en fait, non, ça fonctionne vraiment, et ça refroidit même de l'eau qui était chaude au début. Et je vous assure qu'elle est divinement fraîche. Bon, l'inconvénient c'est que ce n'est pas éternel et que le tissu sèche rapidement, surtout qu'il fait chaud et qu'il y a du vent (c'est le vent sur du mouillé qui refroidit, comme pour la transpiration, même mécanisme !). Et donc il faut remouiller au moins toutes les heures, ce qui suppose emmener de l'eau en plus spécialement pour ça ou en avoir localement à disposition.

 

Donc, je quitte Qatruyeh et avale encore une soixantaine de kilomètres pour terminer cette difficile journée (vent contre et petit col) après un petit 95 bornes. Je me pose au pied d'un pylône haute tension. C’est un endroit idéal pour moi car je n'ai pas besoin de planter ma tente, tendre le hamac suffit. Je dévore la pastèque qu’un gars m'a offerte sur le bord de la route peu avant. Pour la pastèque aussi, notez que ça marche le truc du rafraîchissement. Comment ? Vous coupez la pastèque en quartier assez fin et vous les exposez au vent (et aux mouches…) durant 5 à 10 minutes et ils sont déjà beaucoup plus frais.

Après une jolie nuit étoilée sous mon pylône, je repars tout content de ne pas m'être fait dévorer par des animaux sauvages hantant ces coins déserts... Cette fois, je vais me manger 120 kilomètres en longeant un autre lac salé (séance photo sur la colline...), en passant Sirjan et terminant dans une montée encore bien désertique... Je pose la tente derrière un petit tas de terre non loin de la route et m'endors du sommeil du juste 8500 bornes dans les pattes...

Et je repars, le jour suivant (comme le matou, sauf que lui il revient...), en direction de Bardsir. La montée est longue mais la descente est agréable et en vaut la peine. Les paysages ne changent pas trop : végétation très rase et vallées très vertes grâce à l'irrigation. Je mange à Bardsir et repars en direction de mon deuxième gros challenge de cette partie du voyage, à savoir la piste de terre (plus courte) qui me permettra de rejoindre Bam par une vallée parallèle à celle de la route à grand trafic que je veux éviter. Il est plus de 17H quand j'entame ce chemin qui va se révéler... Euh… Chaotique, disons... D'abord, mon porte-bagages avant ne résiste pas aux nombreux chocs et rompt en son point d'attache près de l'axe de la roue. Une réparation de fortune plus tard (à base de corde de guitare…), et me voilà reparti alors que la nuit tombe peu à peu. Comble de malheur, la piste de terre et cailloux, déjà pas agréable, devient sablonneuse. Une horreur ! Je dois souvent descendre de vélo pour pousser puis l’enfourcher à nouveau quand ça redevient à peu près praticable. Et puis, finalement, je m'arrête dans ce que je crois être le village de Guder. Je tends mon hamac en bordure d'un petit ruisseau d'eau salée, entre deux arbres, et m'endors du sommeil du juste qui flippe un peu, quand même, parce que plusieurs personnes lui ont dit que le Baloutchistan iranien (proche) et, de manière générale, cette région de l'Iran, étaient dangereux car le gouvernement ne contrôlait rien par ici. Et puis, un autre m'a dit que cette route en particulier était dangereuse, et il m'a fait le geste d'un gars tenant une mitraillette. Bon, je m'endors quand même car ce serait bien ma veine que des méchants viennent me trouver au bord de mon ruisseau.

Au lieu de gros méchants, ce sont des chèvres et leurs deux bergers qui me réveillent le lendemain matin. Photos, et je repars. J'arrive au vrai Guder, 10 kilomètres plus loin, et me désespère car cela signifie que le prochain village est à 30 bornes... Mais je continue, je n'ai pas vraiment le choix. J'arrive finalement au village suivant puis à Rayen, encore 10 bornes plus loin. Je m'y empiffre, rapport à une dalle atomique, et repars, toujours contre le vent, alors que j'ai changé de cap pour rejoindre la route asphaltée, par un petit col dans la vallée parallèle. D’ailleurs, à propos du vent ; ces derniers jours il est TOUJOURS contre moi. C'est affolant et vraiment déprimant. Enfin, il faut savoir tirer les enseignements de ce qui nous arrive, non ? Et aussi positiver. Moi j'allie les deux et je me dis que, puisque le vent est TOUJOURS contre moi je ne pourrais jamais me perdre. Je n'aurais, à l'avenir, qu'à aller dans la direction d'où vient le vent et je serai certain d’être sur la bonne voie... C'est cool, non ?

 

Quoiqu'il en soit, une fois sur la route de Bam, c'est une extraordinaire descente à travers de somptueux paysages. J'enrage de ne plus avoir de piles dans mon appareil photo... Ce sont des choses qui arrivent mais qui n'ont pas intérêt à se reproduire souvent. Et me voilà à Bam, après une nouvelle étape de près de 160 Kms. Je squatte chez le gardien de la Croix-Rouge locale qui a la gentillesse de m'inviter à dormir et à manger dans son réduit. J'accepte la première invitation mais décline la deuxième car je ne veux pas abuser.

Le jour suivant, je commence par trouver l'Auberge de Bam, celle du fameux monsieur Akhbar, dont parlaient le Lonely Planet et certains invités du livre d'or du gars d’Abadeh. Je m'y installe et commence à visiter le champ de ruines qu'est devenue cette ville qui semblait si agréable avant cela. A voir les dégâts, je me dis que ça a dû être terrible. Et, en même temps, je vois cette ville si vivante. « Industrieuse » est le mot qui me vient à l'esprit... C'est sans doute la ville la plus « industrieuse » que j'ai vu depuis mon entrée en Iran. Normal, me direz-vous, ils ont tout à reconstruire. Mais quand même... 27 000 morts il y a moins de 2 ans et la vie… Si ce n'était l'omniprésence des ruines, la vie semblerait normale... Impressionnant. Impressionnant comme l'Homme semble capable de continuer, de surmonter des catastrophes aussi terribles.

 

Et puis, en voyant tous ces dégâts, qui sont vraiment hallucinants, je me dis que l'Homme (encore lui...) est capable de faire bien pire avec une seule bombe atomique... C'est quand même insensé, non ? Ironiquement d'ailleurs, si l'on pousse un peu la réflexion, on constate que l'argent gâchée à fabriquer et détruire des bombes atomiques qui ne serviront jamais, espérons-le, pourrait servir à reconstruire des villes comme Bam, avec des normes antisismiques et consolider ou mettre aux normes plein d'autres endroits... C'est drôle, non ? Non...

 

Je visite ensuite le château de sable : la citadelle de Bam. D'après les photos que j'ai vues, c’était une vraie merveille. Aujourd’hui, elle ressemble à un château de sable après la marée haute... Là aussi, une vraie catastrophe…

Et puis, le jour suivant, je repars pour le troisième, et j'ai gardé le meilleur pour la fin, challenge de cette ultime partie de l'Iran : le désert de Kavir-E-Lut (Kavir signifie désert je crois). Sur le site www.france-diplomatie.gouv.fr on peut lire : « En raison de l'insécurité régnant à proximité des frontières de l'Afghanistan, du Pakistan et de l'Irak, il est formellement recommandé d'éviter les déplacements dans ces zones. Il convient en particulier de ne pas emprunter l'axe routier reliant la ville de Bam à la ville de Zāhedān ». Et voilà que, justement, je me propose d’emprunter cet axe... Si ma mère savait ça... Ceci dit, je me suis renseigné sur place et les autorités ne m'ont pas dit que cela craignait spécialement. Il semblerait, d'après une conversation avec un couple de français sur Shiraz, que le gros truc qui se soit passé dans le coin soit l'enlèvement et la restitution contre rançon d'un couple d'allemands voyageant à vélo. Les autorités avaient saisi peu avant une grosse quantité de drogue et les bandits, pour se venger et récupérer leur mise, avaient demandé une rançon plus ou moins équivalente à leurs pertes dans le business. C’est vachement réglo, non ?

 

Quoiqu'il en soit, je décide d'y aller avec mes provisions de flotte, car cette fois-ci, c'est pas d'eau sur au moins 200 bornes. Et puis, c'est un vrai désert : vents chauds, tempêtes de sable, etc. Pour une fois, le vent est avec moi et je parcours mes 160 bornes (égalage[i] du record...) avant de terminer sous ma tente à Kahurak, après m'être restauré dans l'unique restoroute du coin.

 

[i] égalage : Substantif du verbe égaler.

Et je repars, toujours poussé par le vent, le lendemain matin, en direction de Nostrat Abad que j’atteins en fin de matinée après une méchante montée et une géniale descente. Je prends quelques photos des baloutches. Eh oui ! Ça y est, je suis dans le Baloutchistan iranien. D’ailleurs, le vrai choc culturel est vestimentaire ! Les baloutches s'habillent en pyjama et me rappellent la lointaine époque de fin de collège où l'on m'appelait pyjamaman parce que je portais toujours des joggings... Bref. Des pyjamas donc, extraordinairement bouffants au niveau des jambes... Je vous avoue que ça ne facilite pas la prise au sérieux de ces gens-là. Ceci m'a d'ailleurs fait émettre une théorie. Et si, contrairement à ce que l'on croit, le terrorisme international n’était que le fruit d'un malentendu. En effet, imaginez que tout cela vienne des baloutches qui, exaspérés qu'on ne les prenne pas au sérieux sous prétexte qu'ils s'habillent tout le temps en pyjama, avaient décidé de fonder Al Qaeda et de poser des bombes et des kamikazes un peu partout pour qu'on commence à les prendre au sérieux MALGRE leur tenue vestimentaire... C'est vrai quoi, c'est important la dignité humaine...

 

Bon, je remonte sur mon vélo pour encore 80 bornes à travers toujours de magnifiques paysages, des montées douces et des descentes aussi douces, toujours poussé par le vent qui, décidemment, semble avoir quelque chose à se faire pardonner. Puis, j'arrive sur Zāhedān. Je vais direct à l'hôtel que l'on m'a recommandé, en plein centre-ville, dans le bazar, et y prends mes quartiers. Un petit tour en ville, Internet et tout et tout, et au dodo, car demain, avec deux jours d'avance sur le programme, je passe la frontière.

Je vous passe les détails de cette journée de vélo vers la frontière car elle ressemble aux autres (jolies montagnes notamment) pour en arriver directement à la frontière que je passe comme une lettre à la poste.

Je change mon argent iranien et me fait arnaquer en beauté sur le taux... Je prends ensuite le bus en direction de Quetta, à 600 et quelques bornes de là, de l'autre côté de la nuit... "Pourquoi le bus ?" me direz-vous. Hé ben parce que là, entre la frontière et Quetta, l'avis général est que c'est VRAIMENT dangereux. En plus, j'ai promis à ma maman que je zapperai ce coin craignos en prenant le bus. Et puis, malgré un mois en Iran, je ne suis tout de même pas devenu un ayatollah... du vélo. Alors, mieux valent 600 bornes en bus, dans des conditions pires que tout ce que j'ai connu en Amérique du Sud, que traverser ce méchant désert et ne pas en revenir.

 

Et voilà, Je suis à Quetta depuis hier. Je ne vais cependant pas entamer la narration de mes premières impressions sur le Pakistan. Sachez juste que je repars demain en direction du sud-est avant de remonter sur Lahore et Islamabad par la suite.

 

Voilà,

 

À plus tard, et portez-vous bien.

 

Lionel

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