Paris-Shanghaï à vélo
MESSAGE N°18, le : 16/03/2006
Salut tout le monde !
Bon, apparemment, c’est un long mail qui vous attend parce que ça fait un sacré moment que je n’ai pas donné de nouvelles. Mais bon, si ça peut vous rassurer, c’est aussi l’avant dernier… En effet, la date de mon retour est fixée, par contrat avec Opodo et British Airways, au 23 mars de cette année !
Mais revenons à nos deux moutons : Antoine (mon pote québécois, aussi surnommé Garceau par mes soins… C’est son nom de famille, j’ai pas de mérite…) et moi (Lionel A. aussi surnommé tonton Yoyo par ma nièce !). Nous repartons d’Ho Chi Minh Ville le quatrième jour au matin, après avoir passé la plupart de ces quatre journées sur la métropole du sud du Vietnam à ne rien faire ! On est pas mal sorti et on a joué au billard dans les bars du coin… C’est donc avec un certain degré d’excitation que nous reprenons la route. Nous avons un peu étudié le trajet et nous sommes mis d’accord (enfin, j’ai accepté, sous pression québécoise !) pour passer par les montagnes de l’intérieur du pays avant de rejoindre la côte plus ou moins après avoir remonté entre un tiers et la moitié du pays vers le nord. Antoine en a marre des routes plates qui constituent son lot depuis la Thaïlande et le Cambodge (et l’Inde, Singapour et la Malaisie pour moi…). Il tient à revoir un peu la montagne et ses routes peu usitées et non touristiques. Je suis d’accord avec lui même si je ne suis pas (contrairement à lui) un grand fan des cols et autres routes au dénivelé positivement inquiétant…
La sortie d’Ho Chi Minh Ville se fait sans encombre et nous nous retrouvons rapidement à la campagne. Les gens nous saluent tout comme au Cambodge. Nous voyons des panneaux à la gloire du régime socialiste un peu partout avec toujours les mêmes composantes : l’ouvrier, le militaire, la femme, le jeune étudiant et le vieux… Pardon… L’ancien… Avec des éléments de décors intéressants, notamment les pylônes électriques qui symbolisent l’accès que les vietnamiens ont, globalement, à l’électricité. Le premier soir, nous nous faisons surprendre par la nuit et la vue d’un accident de la circulation impliquant des motos et des morts incite mon Garceau à faire à nouveau pression pour que nous trouvions rapidement un endroit où dormir. Contrairement à moi, Antoine n’a pas l’habitude de rouler la nuit… Il est plus du matin. Les kilomètres que je parcours de nuit pour finaliser une bonne journée de vélo, lui les a mangé au petit déjeuner alors que je suis encore dans les bras de Morphée. Chacun son truc, non ? Résultat, après avoir dîné dans un resto-bouiboui sympa, nous squattons dans le cimetière de Dinh Quan… Enfin, j’exagère. Nous entrons dans le cimetière pour y poser nos tentes, mais nous franchissons une clôture et nous nous tentons[i] (québécologisme[ii] !) juste de l’autre côté, dans un verger derrière la maison qui jouxte le cimetière.
[i] Tentons : Verbe pronominal, québécois, se tenter (poser sa tente) employé à la première personne du pluriel du présent de l’indicatif.
[ii] Québécologisme : Néologisme québécois.
Ho Chi Minh Ville - Hue
Le lendemain matin, le proprio de l’endroit est tout surpris de nous trouver dans son jardin mais ne nous prend pas la tête du tout… Au contraire. Il nous permet de nous laver dans sa salle de bain rudimentaire avant de repartir.
Le paysage commence à changer et la pente (légère au début) à se faire sentir un peu. Nous sommes dans une région volcanique et pouvons quelques fois observer de près des volcans éteints que nous contournons. Et nous montons… Doucement, mais nous montons. Nous sommes cette fois-ci vraiment à la campagne et devenons donc le centre d’intérêt momentané de la plupart des gens que nous croisons… Notamment les écoliers qui sortent en masse de l’école à 11H30. La conséquence majeure de ce fait social vietnamien est un flot invraisemblable de vélos sur la route entre 11H30 et midi… La plupart nous crie un « Hello », « How al you ? » ou encore un «What is youl name» auxquels nous répondons le plus souvent par un signe de la main. Le temps est beau mais se dégrade dans la journée. Le soir, arrivé à Bao Loc (après seulement 80 Kms) nous décidons d’opter pour le luxe d’un hôtel à 5 $ pour deux car le ciel se fait menaçant et nous sommes un peu fatigués.
Le jour suivant, nous avons comme objectif d’arriver à Da Lat. Da Lat se situe au cœur des montagnes du sud, à 1500 mètres d’altitude. La journée se résume donc à lutter contre le vent sur le plateau qui domine Bao Loc, le tout sur une route qui ne fait que monter et descendre… En plus, mon pneu arrière me lâche en sortant de Bao Loc. Je le remplace par le pneu que j’ai acheté par précaution en sortant d’Ho Chi Minh Ville. Eh bien, croyez-le ou non, mais ce dernier fut le pneu le plus pourri de mon voyage… En effet, après 12 Kilomètres, oui oui ! 12 ! Il me lâche à son tour : grosse déchirure sur le côté qui permet à la chambre à air de sortir et venir éclater au bout de deux ou trois passages contre le frein… Total, alors qu’aujourd’hui nous sommes pressés (étape de 115 Kms…) nous nous retrouvons à recoudre mon pneu (celui qui m’a lâché en sortant de Bao Loc mais que j’ai eu la bonne idée de conserver). La vérité, c’est que c’est Antoine qui s’y colle le temps que j’essaye de régler le problème de la chambre à air éclatée. Il m’enseigne l’un de ses trucs et astuces pour que la réparation tienne plus longtemps, et nous voici repartis après une bonne heure sur place.
En fin de journée, nous approchons de Da Lat et ce n’est que vers les 20H30 que nous arrivons enfin au sommet de l’ultime montée de 9 Kms. Antoine est en hypoglycémie et les derniers kilomètres sont particulièrement difficiles pour lui… Bon, pour moi aussi, mais le ventre vide ou plein n’a rien à voir… C’est juste que la montée est raide et point !
Quoiqu’il en soit, nous trouvons rapidement un hôtel pas cher et allons nous restaurer. Antoine me colle au régime Garceau. Enfin, c’est moi qui décide de suivre ce régime… En fait, à Bangkok, après avoir vu une photographe lutter avec son appareil photo digital (plusieurs essais, en vain…) pour faire une série de photos d’identité de ma face sans arriver à sortir autre chose qu’un portrait de squelette, j’ai décidé de prendre sérieusement les choses en main et reprendre du poids. Or, mon Garceau mange comme quatre. Bon, j’exagère… Comme deux, on va dire… Et là c’est vrai ! A chaque repas, il prend double portion ! Moi, je décide de le suivre et me retrouve à manger deux bonnes assiettes de soupe aux nouilles à chaque repas (bon pour l’hydratation ET la croissance !) et des tonnes de sandwiches quand nous sommes sur la route.
Le lendemain, nous nous reposons et visitons Da Lat chacun de notre côté. Antoine fait encore marcher son charme et nous ramène une sympathique allemande avec qui nous passons la soirée. Et le lendemain, nous voici reparti pour l’un des moments forts du voyage. En effet, nous avons décidé de prendre une route secondaire qui coupe à travers les montagnes pour rejoindre une autre route secondaire, la piste Ho Chi Minh en l’occurrence, rien que ça, menant vers le nord… Malheureusement, les gens du coin ne semblent pas en mesure de confirmer l’existence de cette route et nous recevons un tas d’informations contradictoires quant à la possibilité ou non d’emprunter ce chemin. Qu’à cela ne tienne, nous décidons de tenter le coup.
Une fois sortis de Da Lat, les gens ne sont pas plus informés que dans la ville et nous comptons sur notre instinct pour savoir qui écouter afin de garder le cap… Nous avons la chance de rencontrer un gars qui parle français et qui nous confirme qu’il y a bien une route qui mène à un bled dans la montagne : Dinh K’no, à environ 50 bornes d’ici, mais il ne sait pas si de là-bas on peut récupérer la piste Ho Chi Minh. Enfin c’est déjà mieux que rien. Malheureusement, quelques kilomètres plus loin nous croisons un autre bonhomme, responsable d’une agence de tourisme sur Da Lat et à qui je m’étais adressé la veille, en ville, pour avoir des informations à propos de la route en question. Il me reconnaît et nous dit que nous ne sommes pas sur la bonne route et qu’une fois à Dinh K’no nous serons bloqués car ça ne passe pas. On lui rappelle que notre moyen de transport est le vélo et non la voiture mais lui, un peu alcoolisé, insiste en nous disant qu’on ne doit pas y aller. Le Garceau et moi décidons de passer outre ses recommandations (agressives sur la fin…) pour tout de même tenter notre chance. Il faut dire que tout au long de nos deux voyages respectifs, nous avons rencontré un paquet de gens pour qui nous prenions la mauvaise route. En fait, souvent, ils ne réalisent pas que nous sommes à vélo et non en voiture. Pour eux, plus de dix kilomètres et le moyen de transport c’est la voiture, le bus ou la moto… Et donc, le vélo de montagne (comme l’appelle Antoine) n’entre pas dans le monde des possibles… Conclusion, pour eux, ce qu’on fait, ou tente de faire, est impossible. D’ailleurs, et nous renonçons souvent à le mentionner, il n’est pas rare que nos interlocuteurs ne nous croient pas lorsque nous leur disons d’où nous venons avec nos bicyclettes…
Quoiqu’il en soit, nous repartons et ne tardons pas à nous retrouver sur une piste de terre qui grimpe. Et ça grimpe, et ça grimpe… Et je crève. Et Antoine casse un rayon, et ça grimpe, et ça grimpe toujours. Il faut dire qu’en sortant de Da Lat nous sommes pas mal descendus. Le paysage est toujours aussi vert. Nous longeons un lac pendant plusieurs kilomètres avant de grimper toujours plus. Et maintenant, c’est la pluie qui s’en mêle ! Une de ces pluies traîtres comme j’en ai vu un paquet durant ce voyage… Une pluie fine, qui te mouille insensiblement. Et tu te retrouves en altitude, les mains (et le reste aussi d’ailleurs…) mouillées et gelées, à te demander quand ça va finir.
Nous tombons sur une cabane avec deux gars sympas qui veulent nous offrir de l’eau un peu marron que nous refusons poliment. Ils possèdent une carte topographique très détaillée de la région et nous supposons qu’ils sont un poste isolé de l’armée ou de la police… Enfin, grâce à eux nous sommes un peu plus renseignés sur ce qui nous attend. D’abord, la bonne nouvelle c’est que le col se trouve à environ 3 kilomètres… A 1800 m d’altitude, ce qui signifie qu’on est bien monté (sans jeu de mots…). Et puis, maintenant, on est sûr d’être sur la bonne route… Celle qui mène à Dinh K’no j’entends… Parce que, pour ce qui est de rejoindre la piste Ho Chi Minh depuis Dinh K’no, on est toujours dans le flou le plus total… Enfin, on continue à grimper avec mon gars Antoine et l’on atteint le col, dans une espèce de virage, sous une pluie fine mais bien installée, le tout à la grande surprise de quelques ouvriers travaillant au bord du chemin.
Puis, nous entamons la descente, toujours sur une piste de terre cahoteuse et chaotique. Enfin, elle est surtout gadouilleuse, rapport à la pluie susmentionnée. Bref, c’est un peu casse-gueule et en plus ça commence à faire froid entre l’altitude et les mains toutes mouillées. Ça me rappelle un peu mon premier col géorgien (Goderzi Pass, pour ceux qu’ont pas suivi...) mais en moins pire parce que mes pneus semblent tenir bon et en plus j’ai mon pote Antoine avec moi, et ça, c’est bien cool.
Par moment, c’est tellement gadouilleux que je manque de me planter, et même une fois je ne manque pas… Heureusement, Antoine est assez loin derrière, une fois n’est pas coutume (et non pas : une soie n’est pas costume...), et n’a rien vu. Et ça descend, ça descend... Qu’est-ce que ça fait du bien de descendre, je vous jure... Après toutes ces montées.
Finalement, alors que la nuit commence à tomber, nous arrivons à Dinh K’no.
Le lendemain, nous rejoignons plus ou moins la plaine mais les paysages restent magnifiques. Des rizières vertes et jaunes à perte de vue et l’horizon barré de moyennes et basses montagnes sous un ciel bleu comme l’aube ! (La vivacité du citron se fond dans la bergamote, et la vanille apporte sa fraîcheur matinale... Bref... Les plus vieux d’entre vous comprendront...). Une journée sans histoire donc, si ce n’est ce joli lac artificiel que nous longeons dans l’après-midi. Et le soir nous campons au fond d’une espèce de terrain de foot sans buts ni lignes ni gradins... Un champ d’herbe en fait..., près d’un verger et d’une maison et assez loin de la route.
Et le lendemain, après avoir remercié tout ce joli petit monde et nettoyé mon souillé soulier, nous voilà repartis en route pour de nouvelles aventures. Aventures qui vont nous mener à Kon Tum, une ville de moyenne importance, après une autre belle journée de soleil et de vélo. Là, nous prenons un hôtel pas cher afin de bien nous reposer pour la suite. Antoine en a bien besoin d’ailleurs, car lui aussi s’en trimballe une bonne et ça a tendance à pas mal l’affaiblir.
Le jour suivant sera marqué par le retour de bonnes grimpettes et par la bonne surprise du soir. En effet, les gens du bar-resto familial où nous nous sommes arrêtés pour nous restaurer, nous offrent aussi le gîte, et ce, pour la modique somme de : “rien du tout c’est juste qu’on est gentil !”. Bien sûr, tous les voisins du coin rappliquent et nous avons le droit à une bonne trentaine de paires d’yeux pendant que nous essayons de nous déshabiller pour nous mettre dans nos duvets... Finalement nous leur faisons comprendre que le vélo c’est fatigant, que nous allons dormir et que s’ils restent là à nous regarder pendant qu’on dort ça va un peu nous déranger. Bon, je dois dire qu’avant cela, en me rendant aux toilettes, au fond de la cour, à droite après le canardier[i] (on dit bien un poulailler... alors j’imagine que pour les canards on dit un canardier...) je marche dans un amoncellement de caca de canards qui devaient avoir une chiasse collective aussi carabinée que la mienne... Une horreur... Bref...
[i] Canardier : Maison des canards domestiques.
Voilà pour cet avant dernier mail... Là je suis en Chine et je rentre en France dans une semaine... Suite et Fin pour très bientôt...
A+
Lionel.
Le jour suivant, qui commence sous un magnifique soleil, va nous voir entamer la descente vers la mer... Lentement, car on est loin encore, mais sûrement... On va dire que jusque vers les 16 heures la journée est parfaite. Certes, on se tape une méchante montée en deux temps vers un col venteux, mais il fait beau et le paysage est tellement magique que ça donne des ailes aux pattes... Et puis, on s’accroche à un ou deux camions dans la montée, histoire de se reposer les jambes quelques centaines de mètres (et faire travailler les bras... A ceux qui penseraient que se faire tracter en montée alors que vélo plus bagages plus cyclorandonneur avoisinent les 135 kilos c’est être petit joueur… Eh ben mes biceps démentent catégoriquement !!!).
Mais bon... Toutes les bonnes choses ayant une fin, une fois franchi le col, les choses en question se gâtent ! Les nuages sont bloqués de ce côté-ci de la montagne et s’amoncellent sans pouvoir passer… Résultat : Pluie, vent et températures environ 10 degrés inférieures à celles de l’autre côté il y a encore une demi-heure. La pluie est fine mais ce qui m’embête c’est la chaussée détrempée qui va mouiller mes affaires par l’intérieur... Ça c’est pas cool. On descend, on descend toujours. Il faut faire attention aussi à ne pas glisser et à ce que les freins répondent bien. Puis soudain, alors que je viens de doubler un camion en descente, mon pneu éclate. Heureusement je venais de ralentir car j’approchais d’un virage. Je peux donc contrôler mon arrêt et remercier l’autre cocufieur de charpentiers parce que ça me serait arrivé 5 secondes plus tôt, pendant que je roulais à fond pour doubler le camion eh ben ça n’aurait pas été joli joli cette histoire...
Bref, séance de couture de pneu devant un village (oui. Le virage c’est en fait un village, c’est comme ça... me demandez pas pourquoi, Jean sait rien...) ébahi, et nous voilà repartis alors que la nuit tombe déjà. En parlant de tomber, nous nous prenons un déluge sur la tronche, d’un seul coup, sans prévenir, et nous parvenons à nous réfugier chez des gens qui, bien que surpris, nous accueillent et nous offrent même à boire tout en continuant de regarder la télé... Nous profitons d’une accalmie pour repartir. Nous serons encore coincés une bonne heure sous un porche dans Phuoc Son, à seulement une centaine de mètres d’un hôtel (mais nous ne le savions pas...). Finalement, à la faveur d’une nouvelle accalmie, nous gagnons cet hôtel et y prenons une chambre. Nous jouons les scientifiques de comptoir et nous disons que cette flotte qui tombe fait peut-être partie de la même tempête responsable des récentes inondations en Indonésie
Il faut se rendre à l’évidence : des occidentaux (disons le mot : « des blancs »), ils ne doivent pas en voir souvent dans le coin... Mais alors, en plus, à vélo, ça finit un peu de les scier les gens du bled. On se fait accueillir par l’idiot du village à qui je sers poliment la main qu’il me tend avant de m’apercevoir qu’elle est pleine de bave tout comme le reste de son visage... Il faut dire qu’il est affublé d’une casquette genre militaire... Alors moi, vous savez, un gars avec une tête de fou mais habillé en militaire, je trouvais ça plutôt normal... C’est la raison pour laquelle je ne me suis pas méfié...
Bref, le flic du village nous accueille aussi, mais lui, il nous fait méchamment comprendre qu’on doit déguerpir ! Raison ? Aucune... Ah, oui... Peut-être juste le fait de vouloir montrer un peu son autorité au reste du village, de surcroît sur des étrangers... Prestige suprême... Bien sûr, nous lui prêtons le moins d’attention et d’importance possible, histoire de montrer aux autres que nous avons tout de suite compris qu’il n’était qu’un gros naze. Nous faisons quelques courses alimentaires dans les deux épiceries du village et entamons la descente pour en sortir. Finalement, nous trouvons un endroit bien sympa pour loger cette nuit. Il s’agit d’une cabane qui semble abandonnée mais en bon état, juste là, sur le bord de la route. Tiptop quoi. Nous demandons à un gars un peu bourré qui monte au village si l’on peut dormir là et il nous confirme que pas de problème. Il nous scotche un peu tout de même en commençant à nous parler en français...
Nous mangeons notre pitance du soir à base de tartines de pain, confiture et lait concentré sucré (dont je fais une forte consommation depuis mon entrée au Vietnam.), et nous nous couchons. Malheureusement, notre planque ne tient pas longtemps et nous recevons la visite de deux officiers de police revenant probablement de la même fête que le voisin francophone parce qu’ils empestent l’alcool à trois mètres... Évidemment, comme Antoine fait habilement semblant de dormir et que c’est moi qui ai ouvert la porte, celui qui parle s’adresse à moi... Pas à trois mètres, mais plutôt à trois centimètres de mon nez (j’entends déjà les mauvaises langues dire que 3 centimètres de mon nez, ça ne veut pas dire qu’il n’était pas à 3 mètres de moi... n’est-ce pas Laurent... ?).
Bon, ils nous disent de remballer nos affaires. Non pas que quelqu’un se soit plaint de notre présence, mais parce qu’ils veulent que nous allions squatter chez le frère de l’un des deux. Quand je réalise le fin mot de l’histoire. Je leur explique... Pardon, j’utilise toute la patience dont Dieu, le père du petit Jésus, cocufieur de Joseph, m’a doté, pour leur expliquer (et finalement les convaincre) que leur proposition est très gentille mais que vraiment, là, ça va pas être possible. Parce que Yoyo et Tonio fatigués et vouloir dormir maintenant dans cabane en bois, sur le sol, oui, on s’en fout, mais SURTOUT PAS remballer nos affaires pour aller 500 mètres plus loin dans la famille du flic où l’on va forcer ce pauvre Antoine à boire des canons (parce que moi y a pas moyen !) et où l’on va nous saouler de questions, tout ça pour pouvoir dire ensuite que les étrangers ont dormi chez EUX le jour où ils sont passés dans le village. Eh ben ça! NON !
Finalement, après vingt bonnes minutes de tractations, ils nous laissent en paix et nous pouvons enfin nous endormir pour une nuit de repos bien méritée. Le lendemain matin, excellente surprise : le soleil est au rendez-vous ! Et là, c’est de la balle ! Le paysage est magnifique et la journée s’annonce grandiose. Nous entamons donc la journée en sortant du village par la route allant dans la direction opposée à celle d’où nous sommes venus. De toutes façons il n’y en a qu’une qui ressemble à une route et qui aille dans la bonne direction. Enfin, quand je dis qu’elle ressemble à une route je suis un peu flagorneur... c’est un chemin de terre bien déglingué mais c’est ce qui se fait de mieux dans le coin.
En plus du paysage magnifique, ça continue de descendre ! Antoine et moi sommes aux anges. Nous commençons à longer la rivière que nous sommes supposés longer d’après la carte. Et, de toutes façons, si on longe une rivière c’est que c’est bon... On n’est pas perdu... Au pire on arrivera à la mer et c’est EXACTEMENT ce que l’on veut... Donc... Tout va bien... Oui, enfin, jusqu’au kilomètre 7 de cette beautiful journée où je m’aperçois que mon compteur est tombé durant la descente. On pose donc les vélos et Antoine m’attend alors que j’entame un petit footing en remontant le chemin espérant retrouver rapidement l’objet en question. Je me dis qu’avec la perte de mon disque dur sur Siem Reap et d’un paquet d’autres choses durant ce voyage, j’atteins des records de connerie moi. Comble de bêtise, je remonte jusqu’à la cabane où nous avons dormi mais sans résultat. Je redescends déprimé pour rejoindre Antoine et retrouve finalement mon compteur près d’un petit pont de bois où nous avions fait une courte séance photo un peu plus tôt. Ironiquement, le pont n’est qu’à un kilomètre environ de l’endroit où j’ai laissé Antoine. En somme, si j’avais mieux cherché en remontant, je me serais évité 12 Kms à pied qui usent les souliers (dont la moitié en courant...). Enfin, je suis heureux de l’avoir retrouvé. La belle journée peut donc continuer.
Et elle continue la belle journée. Nous traversons la rivière sur un pont invisible. Nous déchaussons certes, mais les vélos passent sans vraiment mouiller les sacoches et c’est bien là l’essentiel. Le soleil donne bien et nous permet quelques jolis clichés quand nous arrivons aux abords de rizières en terrasses où travaillent des paysans coniquement[i] chapeautés... Le chemin remonte un peu et se réduit parfois en largeur (ou plutôt, augmente en étroiteur[ii] devrais-je dire...). Après une bonne vingtaine de kilomètres, nous voyons la vallée s’ouvrir et apercevons des constructions témoignant de la présence de la civilisation et donc, de Coca-Cola. Nous terminons allègrement la descente, le Garceau et moi, avec l’immense satisfaction d’avoir réussi notre pari malgré les réticences (voire même l’opposition catégorique) de nos interlocuteurs dalatiens[iii]. Nous croyons avoir enfin rejoint la piste Ho Chi Minh mais nous nous trompons... Il nous reste pour cela encore une vingtaine de kilomètres au minimum dont une bonne partie en montée. Pas grave. La journée a été de tous points de vue un franc succès et ce ne sont pas quelques kilomètres de plus qui vont nous refroidir. Enfin, nous rejoignons cette fameuse route numéro 14 vers les 17h...
Nous continuons donc sur encore quelques kilomètres et décidons de manger dans un village quand la nuit tombe. Invariablement, nous sommes obligés de négocier dur pour payer le repas au prix à peu près normal. Il faut dire qu’ici, au Vietnam, les gens semblent avoir moins de complexes qu’ailleurs à ne prendre l’étranger QUE pour une pompe à fric, ce qui est dommage au niveau des relations que l’on peut avoir avec les locaux (sachant qu’il y en a qui ne nous prennent PAS pour une pompe à fric, ou pas QUE pour ça... Oui, c’est vrai, j’en ai rencontré même...). Enfin... On mange quand même, et pour pas trop cher... Il faut dire que le Garceau est assez coriace et paraît même plus près de ses sous que moi... Étonnant, non ?
Et puis, au lieu d’aller nous coucher, nous décidons de continuer un peu pour essayer de taper les 100... La lune est presque pleine et le ciel dégagé. Résultat, la visibilité est très bonne, même sans lumière, et le trafic quasiment nul, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Finalement, après cette excellente journée, nous nous tentons près d’une rivière.
[i] Coniquement : Adverbe de conique.
[ii] Etroiteur : Synonyme d’étroitesse.
[iii] Dalatiens : Habitants de Da Lat (Vietnam).
Le jour suivant, notre objectif est simple : gagner la mer. Nous voulons être à Da-Nang ce soir. Bon, d’abord, mais ça ça ne change pas vraiment, le vent est encore contre nous. Ensuite, le temps est gris, voire légèrement pluvieux, et puis, contre toute attente, ça monte encore sur de nombreux kilomètres. La rivière est maintenant bien grosse et fait penser aux scènes des films de guerres sur le Vietnam où ces enc****s de viets tendent une embuscade dans une rivière aux gentils GI’s venus sauver les viets du sud du péril communiste à coup de napalm, agent orange et TNT... Ou alors aux plans obligatoires d’hélicos américains survolant une rivière au ralenti (vous aussi vous avez remarqué ?)... Bref... je pense qu’ils ont tourné ça ici... et peut-être même que, réalisme suprême, la guerre, ils l’ont faite ici…
Enfin… On est un peu en retard sur notre journée quand PATATRAS ! Mon pneu éclate à nouveau... Cette fois-ci il n’y a plus d’alternative possible... On doit faire du stop... D’autant que, étrangement, Antoine connaît le même problème avec le sien... L’on embarque donc dans un camion pour parcourir les 60 derniers kilomètres jusqu’à Da-Nang où nous sommes vers les 19H.
Puis, nous repartons toujours vers le nord à travers de nouvelles régions montagneuses sous des ciels tellement menaçants qu’il finit par pleuvoir en plein milieu de l’après-midi. Nous parvenons quand même à faire un quota de kilomètres raisonnable malgré les pauses Yoyo l’est pas équipé pour la pluie... Enfin, contre la pluie. Et le soir, nous campons dans les montagnes sous une plantation d’hévéas.
Une nuit à l’hôtel après une soirée à mater Liverpool battre encore je ne sais plus qui, une matinée à chercher des pneus de 1.50 mais sans succès, et nous voici repartis sur le coup des 13h30 avec chacun un gros pneu de VTT qui accroche la route comme c’est pas (ça devrait pas être) permis, monté sur la roue avant parce qu’il y a moins de poids.
La sortie de Da-Nang est agréable et se fait par une looooongue ligne droite qui arrive au pied d’une montagne dont nous voyons la route de corniche tout là-haut là-haut dans les nuages... Impressionnant... Surtout que l’on va devoir y grimper là-haut ! Et c’est parti mon Kiki ! Une bonne heure et quart pour une pauvre douzaine de kilomètres et nous voilà à nouveau la tête dans les nuages et le froid. Antoine a retrouvé un peu de pêche et me sème rapidement. Il faut dire que la grimpette c’est son truc au Garceau... La descente se fait dans le brouillard au début, puis sous les nuages par la suite.
Le reste de la journée de vélo va se faire sous un sale ciel gris, morose, à travers les rizières bordées par la mer sur notre droite et les montagnes sur notre gauche. Et quand la nuit tombe, il nous reste une bonne cinquantaine de bornes pour atteindre notre destination du jour : Hué. J’arrive à convaincre Antoine de continuer et de pousser jusque là-bas malgré ses réticences initiales. Je fais bien car deux heures et demie plus tard nous sommes à Hué, dans une bonne chambre pas trop chère avec une douche bien chaude.